26 février, 2007

Carretera austral (4)

Jeudi 4 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Nous voici véritablement au « pied du mur ». Et pour cette première journée sur la fameuse Carretera Austral, un soleil radieux s’est levé. Cela faisait longtemps que nous n’avions plus vu une telle lumière. A peine le petit déjeuner englouti, nous arrimons notre matériel sur les vélos et démarrons dans l’enthousiasme. D’emblée, le paysage se révèle grandiose : montagnes aux sommets enneigés, torrents impétueux, végétation exubérante.
Cependant, nous parcourrons à peine quelques kilomètres qu’un premier incident nous contraint à faire une halte.
Une sangle s’est rompue et un des sacs de Marie-Hélène s’est de nouveau détaché. Comme nous rebroussons chemin pour le récupérer, un 4x4 de carabiniers débouche à toute allure d’un virage. Le véhicule freine des quatre fers, dérape dans les pierrailles et amorce un début de tête à queue. Il nous évite de justesse et s’immobilise à moins d’un mètre de nous. Un des policiers déboule et commence à nous invectiver en hurlant. Nous avons beau lui dire qu’il est totalement inconscient de rouler aussi vite sur un tel chemin, l’homme en uniforme s’agite de plus belle et demande à voir nos papiers. A ce moment son équipier, resté dans le 4X4 le rappelle « laisse tomber, lâche-t-il ». L’énervé n’insiste pas. Il remonte dans sa puissante jeep en faisant de nouveau vrombir le moteur et crisser les pneus. La patrouille disparaît dans une nuage de poussière. Ce sera le seul véhicule que nous croiserons de toute la journée !
Nous parviendrons finalement à bricoler une attache de fortune avec du fil de fer et remettrons le sac en place. Nous voilà reparti jusque Rio Amarillo, infime bourgade traversée par le torrent du même nom. Nous déjeunerons là puis, après une petite sieste dans l’herbe, nous prendrons la direction de Termas del Amarillo où nous comptons installer notre premier campement et passer la nuit. Ce lieu-dit n’a rien de particulier sinon que les abords d’une source thermale très chaude ont été aménagés et qu’il est possible de s’y baigner.
Entre temps la pluie s’est remise à tomber. Qu’importe, nous sommes bien décidés à passer la soirée à patauger dans cette source soufrée aux vertus, dit-on, miraculeuses, notamment pour soulager les douleurs osseuses et musculaires. Ca tombe bien !!!






(Quelque part entre Chaiten et Rio Amarillo, cette carcasse d'avion transformée en maison)

Vendredi 5 décembre 1997

Nous nous levons sous une fine bruine et remballons tant bien que mal la tente complètement détrempée. Nous déjeunons sommairement et sans café (je ne suis pas parvenu à allumer un feu, la moindre des brindilles est gorgée d’eau). Voici les conditions dans lesquelles nous attaquerons la 2e étape sur la Carretera. Un trajet d’une quarantaine de kilomètres qui doit nous mener jusque Puerto Cardenas. De nouveau, il s’agit d’un minuscule hameau lacustre fondé, comme la plupart des entités de la région, au début des années quarante . Selon nos informations, il dispose d’une modeste piste d’atterrissage –ça ne nous sera pas d’une grande utilité, mais on ne sait jamais- et il y a un téléphone dans l’unique hôtellerie situé en bordure du lac Yelcho. Il n’y d’ailleurs rien d’autre que cette hôtellerie dans les parages, si l’on excepte les quelques maisons disséminées dans les collines aux alentours . Pour l’anecdote, un guide local informe les voyageurs qu’en dépit de la pauvreté actuelle des infrastructures, ce lieu est promis à « un grand avenir touristique dans les années à venir grâce à la proximité du lac, précisément, et des possibilités innombrables qui s’offriront aux amateurs de nature vierge et de pêche sportive ». En attendant, c’est toujours un lieu de grande solitude. De nouveau, nous n’avons croisé absolument personne au cours de cette journée. Nous pénétrons dégoulinant dans l’hôtellerie en question dans l’espoir de nous réchauffer et peut-être absorber quelque chose de consistant. Ca tombe bien, la patronne a sur le feu une grosse marmite d’un liquide ressemblant fort à du bouillon. Dans l’établissement il y deux bûcherons et un carabinier déjà installés avec, entre les mains, un bol de ce breuvage. La patronne et les trois hommes nous dévisagent avec insistance et curiosité. Ils nous félicitent néanmoins pour avoir le « courage » de nous aventurer ainsi à vélo sur cette piste isolée avec un enfant en bas âge. Curieusement, l’hôtelière nous prévient, avant même que nous ne lui ayons demandé quoique ce soit, qu’aucune chambre n’est disponible actuellement pour cause de rénovation. Peut-être est-ce la perspective de l’ avenir touristique prospère évoqué plus haut qui a encouragé les patrons de l’établissement à se retrousser les manches !
Nous quittons les lieux un peu requinqués grâce au potage et nous mettons à la recherche d’un site propice à l’établissement de notre campement. Prenons la direction du pont -enjambant un bras du lac- et nous nous faisons très rapidement arrêter… par un fonctionnaire en uniforme dégoulinant sortant de sa guérite : « Contrôle d’identité, s’il vous plaît » La scène est surréaliste. En fait, nous quittons la Xe région pour pénétrer dans la XIe ! Une sorte de frontière, en somme. Nous rangeons nos documents puis traversons le pont. Nous avisons rapidement une prairie qui semble idéale pour passer la nuit. Marie-Hélène me fait remarquer que la pâture doit certainement appartenir aux occupants de cette maison située un peu plus loin, et qu’il serait peut-être bien de prévenir, ne fût-ce que par politesse, que nous allons occuper l’endroit, l’espace d’une nuit. Je parviens à la petite bicoque et en fais le tour. Je frappe à la porte, je crie, je demande s’il y a quelqu’un. En retour, je n’obtiens qu’un silence un peu inquiétant. Je risque un coup d’œil à travers la vitre brisée et aperçoit un homme effondré sur la table. Il est ivre mort. Le sol est jonché de bouteilles de vin et de canettes de bière. Sa tête se relève péniblement, mais retombe aussitôt violemment sur le coin de la table. Je m’esquive aussi discrètement que possible et décris la scène à Marie-Hélène. Elle n’a pas trop envie de s’éterniser dans cette ambiance un peu sordide. Nous ré-enfourchons nos bicyclettes en espérant trouver un lieu plus accueillant.
Contre toutes attentes, une plaque un peu rouillée indique qu’il y a un camping à quelques kilomètres d’ici. Il s’agit du « Centro Turistico Cavi ». Nous y accédons rapidement et découvrons un vaste terrain aménagé pour les voyageurs et les vacanciers. Il y a de beaux et grands emplacements pour les campeurs, des bungalows coquets ainsi qu’un club-house plutôt cossu avec fauteuils profonds, bûches dans l’âtre, musique d’ambiance et patron....en tenue de chasse.
« Cela revient à 19.000 pesos pour la nuit, nous prévient-il
-Mais c’est plus cher qu’une chambre à Santiago, répliquons-nous
-Oui, c’est parce que nous sommes en pleine saison touristique.
-Sans doute, mais il n’y a personne pour le moment !
-Bon d’accord, je vais vous faire une ristourne…7000 pesos, ça ira ? »

Nous concluons le marché et choisissons un emplacement tout au bord du lac. L’ambiance est mystérieuse. La brume commence à se lever. J’ai l’impression de revoir le Loch Ness !
Nous commençons aussi à comprendre ce qui fait la différence entre ce "Centre Touristique" et les autres campings pratiquant des tarifs plus démocratiques. Ici, chaque parcelle dispose d’une borne téléphonique individuelle raccordée directement au central du camping. Que l’on décide soudain de faire un barbecue, il suffit d’appeler et le commis, aussitôt, accourra avec une brouette chargée de bûches et de petit bois sec. On tombe à cours de vin ? Pas de problème, on décroche le combiné et le même commis vous apportera dans les cinq minutes un excellent Cabernet Sauvignon de derrière les fagots et….chambré à point ! La Patagonie réserve décidément de ces surprises.

18 février, 2007

Carretera Austral (3)

Samedi 29 novembre 1997


Une grande journée de voyage aujourd’hui. Le but étant de rejoindre le continent et la Carretera austral proprement dite. Pour ce faire, le plus facile est de rejoindre dans un premier temps le port de Quellon –au sud de l’île- d’où un transbordeur accompli régulièrement la traversée du golfe de Corcovado en direction de Chaiten. A vol d’oiseau le port de Quellon n’est distant de Queilen que d’une trentaine de kilomètres. Cependant, le tracé des routes au départ de Queilen, impose un détour de près de 80 kilomètres. Pour nous éviter ce long trajet, le Padre propose de nous embarquer à bord de sa lancha jusqu’à un petit bled nommé Chadmo. Petit village situé pratiquement face à Queilen moyennant la traversée d’un vaste bras de mer (le canal de Queilen). Voyage d’une bonne heure au travers d’un dédale d’ îles et d’îlots pour la plupart inhabités et couverts d’une végétation assez dense. « De toutes façons, nous dit Joseph, c’est sur mon chemin, je dois aller à Paildad pour y dire une messe anniversaire en mémoire d’un pêcheur mort en mer l’année dernière ».
Nous embarquons donc tout notre matériel à bord de la petite lancha qui s’aventure aussitôt sur une mer toujours aussi grise et houleuse. Un premier arrêt est, comme prévu, effectué à mi chemin (Paildad) où nous quittons le Padre qui s’en va dire sa messe puis continuons une bonne demi-heure notre traversée jusque Chadmo en compagnie de Don José, le pilote de la lancha.
Comme la plupart des petits hameaux côtiers de la région, Chadmo est composé d’ à peine quelques dizaines de maisons en bois éparpillées le long d’une grève pauvriteuse. Des enfants en haillons pataugent sur la petite plage plus boueuse que sablonneuse et jonchée de déchets les plus divers.
Nous fixons les sacs sur les vélos et nous nous mettons en route sans plus attendre, malgré le petit crachin qui sévit depuis ce matin.
La première heure de trajet est très dure. Pour sortir de ce village il n’y qu’un petit chemin excessivement pentu et très gras. Pendant cinq kilomètres, nous n’arrivons même pas à tenir sur nos vélos. Nous sommes obligés de les pousser en ahanant comme des bêtes de somme. Ensuite vient alors un beau ruban d’une trentaine de kilomètres, bien goudronnés et ce , jusqu ‘au port de Queillon. Trouvons un petit hôtel face à la mer (le bien nommé Hotel Playa) puis soupons d’un plat de fruits de mer.
Nous irons dormir assez tôt. Il fait frais et surtout trop humide pour commencer à musarder dans les rues de la petite cité portuaire.

Dimanche 30 novembre, lundi 1er et mardi 2 décembre 2007

Le temps reste toujours aussi instable. Nous mettons à profit les rares moments d’éclaircie pour réaliser quelques petites randonnées dans les environs. Nous sommes en effet coincés ici pour trois longues journées. Le prochain bateau à destination du continent- et de Chaiten- ne part que mercredi. En attendant nous visitons les villages de Quellon Viejo (dont la particularité était d’abriter, à la fin du 19e siècle une station de pigeons-voyageurs permettant aux habitants de communiquer avec le reste de l’île), de Punta Lapa ainsi que de Yaldad. Un village réputé pour être le dernier à Chiloë où l’on construit toujours les antiques « bongos ». Il s’agit de barques de pêche rudimentaires construites à partir d’un tronc évidé par l’action du feu. Nous passons également une heure au vieux musée municipal de Quellon. Un modeste bâtiment abritant un invraisemblable bric à brac où se côtoient sans véritable logique d’anciennes machines à écrire, un vieux phonographe, des pierres taillées par les peuplades autochtones, des castagnettes, etc…
A propos de bric à brac justement, nous décidons d’alléger nos sacs. Les premiers kilomètres effectués la veille nous ont amenés à la constatation que nous étions encore beaucoup trop chargé. Chez une sorte de brocanteur, je parviens à revendre une chaîne de vélo, un trépied -photo ainsi qu’un casque audio, qui finalement ne devraient pas être très utile dans le futur.
La somme obtenue est raisonnable et permettra –parcellement- de réserver nos trois places à bord du transbordeur.

Mercredi 3 décembre

Préparatifs avant la traversée vers Chaiten. Le départ est prévu à 14 heures et le trajet prend 5 heures. Nous payons au total 20.000 pesos pour le passage (2x6000 pour Marie-Hélène et moi –Pablo ne paie pas- et 2x 4000 pour les bicyclettes)
Il y a à peine une cinquantaine de passager à bord : une classe en voyage d’étude, une dizaine de touristes argentins et nous.
De nouveau, notre arrivée à Chaiten est saluée par une pluie battante. Quand cela va-t-il cesser ?
Nous enfourchons nos bécanes et nous précipitons dans la première pension venue.
Une auberge toute de bois, flambant neuve et sentant bon l’encaustique. Il n’y a personne excepté un jeune couple d’allemands rencontré par ailleurs à Quellon.
Un superbe coucher de soleil sur le golfe clôturera cette journée.

(traversée du golfe de Corcovado)
(Chaiten après l'averse)

(Chaiten, le port)

17 février, 2007

Carretera Austral (2)

Lundi 24 novembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

L’ accident de la veille nous a un peu refroidi et nous ne sommes guère d’une humeur très enthousiaste aujourd’hui. De son côté, Pablo n’a pas l’air trop traumatisé par l’attaque des chiens. Il s’est remis à dessiner dans son cahier et semble prêt à repartir à l’aventure.
Quoiqu’il en soit, nous ne faisons pas grand chose aujourd’hui, à part nous promener au hasard dans la petite ville de Castro et surtout, tenter de trouver une pharmacie où nous pourrons faire une petite réserve de sérums anti-rabiques pour les jours à venir. Rien ne prouve que nous pourrons en acquérir facilement sur la route que nous nous sommes promis de parcourir.

Mardi 25 novembre

De bon matin, nous prenons enfin ce bus qui doit nous mener vers Queilen.
La veille, nous avions informé le Padre Mairlot de nos ennuis et prévenu de notre arrivée ce mardi dans le courant de la journée.
Une septantaine de kilomètres plus tard, le bus nous dépose dans ce petit village que nous avions connu 5 ans auparavant.
Queilen un est petit port de pêche d’environ 2000 habitants situé à l’extrémité d’une péninsule. Deux routes traversent le village. L’une et l’autre se terminent par un sentier sablonneux donnant sur la mer. Fondée au 18e siècle par des Jésuites, cette petite entité ne s’est réellement développée qu’en 1900 grâce, selon les historiens locaux, à l’arrivée fortuite d’une colonie de pêcheurs anglais et espagnols dont les embarcations échouèrent ici une nuit de tempête.
Aujourd’hui, Queilen, en dehors d’une petite activité piscicole (élevage de saumons, pêche, ramassage de coquillages et d’algues), de petites scieries et d’un peu d’élevage (mouton et porcs), Queilen reste un endroit un peu perdu, un peu oublié de tous. Rien non plus ne semble avoir changé depuis notre dernier voyage. Le terminal des bus se limite toujours à une sorte de bungalow misérable où un fonctionnaire un peu somnolant passe ses journées à remplir des documents sur une antique Remington.
Nous lui demandons, un peu inquiets, si l’avant veille, le chauffeur a bien déchargé nos bagages.
Il acquiesce et nous désigne, dans un coin de la salle d’attente, un monticule informe. Deux sacs à dos, le siège de Pablo et les 2 grandes caisses contenant nos vélos…tout semble être là et en bon état.
Le vieux pick-up rouge du Padre ne tarde pas à faire son apparition. Tel qu’en lui-même, et avec l’enthousiasme qui le caractérise Joseph nous serre dans ses bras et entame la conversation, exactement comme si nous l’avions quitté hier. A septante cinq ans, Joseph Mairlot reste toujours un gaillard vigoureux et infatigable. Il nous raconte que sa vie est toujours organisée de la même manière: debout dès l’aube et jamais couché avant 3 ou 4 heures du matin. Il y tant à faire dans cette paroisse en plus des offices traditionnels quotidiens : gérer la petite pharmacie qu’il a improvisé dans la cure, s’occuper du syndicat de pêcheurs -un des rares qui a osé tenir tête aux militaires, même à l’époque de Pinochet- puis toutes ces choses sans nom mais essentielles telles qu’accueillir chez lui, le temps qu’il faut, une femme battue et ses enfants, un pauvre bougre qui n’ a plus de quoi se nourrir, etc….
« A présent, ajoute-t-il, j’ai la tâche un peu plus facile depuis que j’ai une petite lancha (bateau de pêche) à moteur. Jusqu’il y a peu, il me fallait pratiquement un an, avec ma barque à rames ou mon cheval pour faire le tour de tous mes paroissiens éparpillés sur les îlots lointains». Nous sans fierté, Joseph nous apprend dans la foulée, que l’état chilien vient justement de lui décerner la nationalité chilienne pour les services rendus à cette petite communauté décidément bien isolée.
Nous arrivons à la cure et c’est à présent au tour de Bernardita -la gouvernante du Padre- de nous accueillir. Sur l’imposante cuisinière en fonte, une « grosse » soupe aux algues (cochayullo) -spécialité de la région- est en train de mijoter.
L’arôme en est assez particulier mais, comme on dit, ça vous requinque en moins de deux.

Mercredi 26 novembre 1997

Nous consacrons une bonne partie de la matinée à assembler les vélos. Ils n’ont pas l’air d’avoir souffert du voyage et d’une manutention parfois un peu brutale dans les aéroports et les gares routières.
Une fois l’opération terminée, nous entamons un premier tour d’essai dans les environs. Une petite ballade d’une vingtaine de kilomètres, jusque Aituy, à travers un paysage où alternent campagnes ondoyantes et bord de mer houleuse et grise. Aituy est un modeste hameau sans véritable « centre » : Quelques maisons de bois dispersées, une école et une église perdue au milieu d’une vaste clairière. Nous pique-niquons au bord de la mer et observons un ballet de toninas (une variété de dauphin) pas très loin de la rive. Nous jouons quelques parties de cache-cache avec Pablo dans les bosquets environnants puis reprenons le chemin en sens inverse.
De retour chez le Padre, Marie-Hélène se rend compte qu’elle a perdu un de ses sacs, sans doute mal arrimé au porte-bagage. Cela va être embêtant pour la suite des évènements.
Jamais à cours d’idées, Joseph lance un appel depuis son poste émetteur et invite tout qui trouverait l’objet à le rapporter à l’église. Moins de deux heures plus tard, un camionneur, rayonnant, sonne à la porte de la cure avec le fameux sac en main. Fameux coup de bol et peut-être un heureux présage pour la suite du voyage !.
Ce soir le Padre nous invite à la fête de l’école paroissiale. Une soirée se déroulant dans le petit hall omnisports de l’endroit et au cours de laquelle alterneront pendant près de 3 heures, saynètes, chansons et ritournelles enfantines. Dans la salle bondée, le maire et ses adjoints, le responsable de la police en uniforme et quelques religieuses, placés au premier rang applaudissent à tout rompre en écrasant de temps à autre une larme d’émotion.

Jeudi 27 et vendredi 28 novembre.

Poursuivons consciencieusement notre entraînement cycliste dans les environs. Comme il se doit, le temps est toujours aussi imprévisible. Bien que nous soyons pratiquement en été, le vent et la pluie sont au rendez-vous pratiquement quotidiennement. Parfois une éclaircie survient au moment le plus inattendu. Le paysage se pare alors d’une lumière littéralement éblouissante et magique.
A présent, et comme nous nous sentons prêts, nous avisons Joseph de notre souhait de commencer notre périple vers la Carretera dés demain matin. Aussi, en guise d’adieu à nos hôtes, nous nous proposons de préparer le repas du soir : une potée aux carottes avec de la saucisse, le tout accompagné d’une bonne bouteille de bière blonde de table. C’ est à la fois très simple…et très liégeois. En tous cas, ça à l’air de rappeler de bons souvenirs à Joseph. Quant à Bernardita, la robuste gouvernante chilote du Padre, elle s’est resservie au moins trois fois. Cà change un peu des algues et des coquillages !

08 février, 2007

Carretera Austral (1)


Samedi 22 novembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne


Pour cette expédition à vélo, nous avons décidé de démarrer de l’île de Chiloë, au large du port de Puerto Montt. Pour nous, il s’agira d’une sorte de camp de base. En tous cas, un lieu connu, presque familier, où nous pourrons à notre aise assembler les vélos -toujours dans leur caisse, en pièces détachées depuis notre départ de Belgique-, vérifier leur état et faire quelques essais.
Nous avons plus exactement projeté de nous rendre dans le petit village de Queilen, dans le Sud de l’île. Là, nous avions fait la connaissance, quelque années auparavant, du Père Joseph Mairlot. Un prêtre belge rencontré par le plus grand des hasards et qui fut autrefois curé de mon village natal à Stockay St Georges et aujourd’hui responsable de la paroisse de Queilen. Une personnalité que je n’avais d’ailleurs jamais rencontré à l’époque où je vivais chez mes parents.


Comme l’île de Chiloë est assez grande -pratiquement la superficie de Grand Duché de Luxembourg-, que les correspondances de bus sont inexistantes à cette heure déjà tardive et surtout que nous avons déjà avalé pas mal de kilomètres en bus –et en transbordeur- depuis Santiago, nous avons décidé de nous arrêter une nuit à Castro, la ville chef-lieu de Chiloë. Un endroit idéal , au demeurant, pour déjà s’immerger dans l’univers patagon.
Ici règne déjà un avant goût de finitude, de brumes, d’océan et de bars de pêcheurs solitaires.
Les alentours sont vallonnés et verdoyants. Il faut dire qu’il pleut plus de 300 jours par an ici. Une légende raconte aussi que c’est ici le berceau de la pomme de terre.
Enfin, bon nombre de maisons sont construites sur pilotis (les palafitos), ce qui donne un cachet certain à l’ensemble, du moins sur les cartes postales. Il ne faut pourtant pas trop rêver devant cette vision « exotique ». Les gens qui vivent dans ces bicoques ne roulent pas sur l’or. Ce serait plutôt la misère au quotidien, l’alcoolisme endémique, la violence conjugale et les petits boulots au jour le jour ou encore les salaires dérisoires octroyés dans les élevages de saumons.

Nous trouvons une petite pension dénommée « Hospedaje Mirador ». Comme le nom l’indique, la plupart des chambres offrent une belle vue sur la baie de Castro. Mais pas la nôtre…qui ne dispose d’aucune fenêtre. Tant pis, ce n’est que pour une nuit. Demain, un bus nous fera parcourir les 70 derniers kilomètres qui nous séparent de notre destination ou plutôt, de notre point de départ.





Dimanche 23 novembre (Castro)

Une journée passée à chercher un moyen de locomotion vers Queilen.

Nous apprenons qu’ il y aura vraisemblablement un bus cet après-midi vers 15 heures.
Nous réservons 3 places puis déambulons au hasard des rues du port jusqu’à l’heure dites.
Le moment venu, pendant que Marie-Hélène et Pablo m’attendent à l’extérieur de la gare routière, je hisse les bagages dans les soutes du bus. Les caisses contenant les vélos sont un peu trop volumineuses. Je m’énerve…et le chauffeur aussi. A force d’insister, j’arrive finalement à tout caser sans trop d’encombre. Le chauffeur a déjà mis le contact et fait vrombir le moteur. Il klaxonne rageusement pour signaler aux retardataires qu’il va démarrer sans plus attendre. J’appelle Marie-Hélène et Pablo. Ils ont disparu de ma vue. J’ aperçois seulement un attroupement et des gens qui crient et gesticulent dans tous les sens. Je cours et redoute quelque chose. Au milieu de la foule, Pablo est étendu par terre et Marie-Hélène est penchée vers lui. Pablo pleure. Une femme agitée m’explique que deux chiens errants l’ont attaqué sans raison. Le bas du pantalon de Pablo est transpercé. Je n’arrive pas à évaluer l’importance de la blessure tant les vêtements et la jambe sont maculés de sang. Un policier m’accoste et veut me rassurer « Une ambulance va arriver tout de suite, me dit-il ». De fait, presque instantanément, me semble-t-il, un petit véhicule, genre mobil home Vokswagen, arrive toutes sirènes hurlantes. Pendant ce temps le chauffeur de bus continue à klaxonner. Je cours vers lui et lui demande s’il est encore possible de décharger nos bagages. « Il n’en est plus question, nous sommes déjà en retard, je m’en vais, me dit-il ». Je lui demande de bien vouloir laisser nos bagages en lieu sûr lorsqu’il arrivera à Queilen. Il me fait un vague signe de tête puis démarre en trombe.
Je repars aussitôt sur les lieux de l’accident. Pablo et Marie-Hélène ont déjà pris place dans l’ambulance. Le policier, toujours rassurant, m’affirme qu’il n’y a pas grand chose à craindre : « Vous savez, depuis 1973, nous n’avons plus connu un seul cas de rage au Chili. De toutes façons, je vais faire le nécessaire pour retrouver les chiens qui ont agressé votre fils et les faire abattre »
Je grimpe dans l’ambulance qui démarre aussitôt.
Dix minutes de route plus tard et nous nous retrouvons dans le dispensaire local dont le hall d’attente est noir de monde. Je ne comprend pas, mais les ambulanciers nous font passer devant tout le monde et nous nous retrouvons, dans l’instant, face au médecin de garde.
Il examine soigneusement et calmement Pablo. Apparemment, la morsure n’est pas trop profonde. Elle nécessitera cependant quelques points de suture et surtout que l’on entame dès ce jour un traitement préventif contre la rage. Un vaccin que l’on doit injecter dans le ventre pendant une dizaine de jours apprend-t-on. « Pas de problème pour votre voyage, nous informe le médecin, c’est un produit que l’on trouve partout, ici ! »
« Heureusement que la rage a disparu depuis 73, me dis-je »
Entre-temps Pablo s’est remis de ses émotions. Il n’a plus qu’une seule inquiétude à présent : « J’espère que la police ne va pas les retrouver ces chiens, je n’aimerais vraiment pas qu’on les tue, tu sais papa ».
Nous sortons enfin de l’hôpital, tout chamboulés par cet épisode et décidons de souffler un peu. Tout doucement - Pablo marche difficilement-nous nous dirigeons vers le bord de mer et allons nous acheter une glace que nous dégusterons en regardant les bateaux.
Nous allons retrouver notre chambre de la veille au « Mirador » et réfléchir à la suite des évènements.