28 avril, 2007

Carretera austral (12)


Samedi 27 décembre 1997

Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Illustration sonore avec le groupe "Quilantal (de Coyhaique) et le titre "Gaucho, flor y flor".

Balmaceda- Puerto Ibañez

Il a neigé ce matin. Les sommets environnants sont comme saupoudrés de sucre impalpable et un vent glacial balaie le village. Le soleil est pourtant de la partie. La journée devrait bien se prêter au « décollage ».
Nous quittons la famille Borquez le cœur serré. Nos adieux n’en finissent pas. Madame Borquez réprime des larmes de tristesse et nous demande une dernière fois si nous sommes sûrs de pas vouloir rester quelques jours encore, au moins jusqu’au réveillon de nouvel-an.
Nous finissons, tant bien que mal, par enfourcher nos bicyclettes et rejoignons la Carretera par un mauvais chemin d’une quinzaine de kilomètres. Un vent sauvage contrecarre le moindre de nos efforts. Plus loin, un pont cassé ( Puente Presidente) nous oblige à traverser un torrent a gué. Nos pieds sont transformés en glaçons.
A peine arrivés au croisement de la Carretera, une camionnette s’arrête à notre hauteur. Son chauffeur propose de nous charger. Comme nous ne sommes guère très vaillants ce matin, nous acceptons la proposition… bien que nous n’aurions pas dû : ce tronçon -en plus de parcourir de superbes paysages rocheux- est, dans sa plus grande partie, en pente. Nous arrivons donc très rapidement à destination dans la petite bourgade de Puerto Ibañez, sur la rive Nord du lac General Carrera. Il s’agit du deuxième plus grand lac d’Amérique latine (après le Titicaca) avec une superficie de 1850 km2 et une profondeur maximale atteignant près de 600 mètres. Une étendue d’eau d’un étonnant vert émeraude située à la fois sur le territoire argentin (où le lac est nommé Buenos Aires) et chilien.
Nous nous installons dans le petit camping de l’endroit où nous serons les seuls clients.
Petite excursion en vélo (environ 7 km par la route de Levican) jusqu’au Salto Ibañez. Une magnifique cascade que les guides locaux rangent parmi les plus belles du Chili.
Au retour, nous frôlons l’accident. Comme la piste est fort peu fréquentée, nous avons pris le risque de rouler à deux de front. Erreur. Avec le vent particulièrement violent, nous n’avons pas entendu un camion arrivant à vive allure dans notre dos. Il freine violemment pour nous éviter et fait hurler son klaxon. Nous en serons quitte pour une grosse frayeur.
Soupons dans le petit resto du camping. Accueil sympa, bon saumon et étonnant dessert composé d’un…artichaud.

Dimanche 28 décembre 1997

Puerto Ibañez

Visite de la petite bourgade, complètement déserte en ce dimanche matin.
En son centre il y a une vaste place, totalement disproportionnée par rapport au reste de la cité, et au centre de la place…un minuscule buste de l’amiral Arturo Pratt (le héros national vainqueur d’une bataille navale pendant la Guerre du Pacifique en 1879).
Le temps est redevenu incertain. Forte nébulosité, entrecoupée toutefois de quelques belles éclaircies.
En chemin, nous sommes informés qu’un bateau va appareiller cet après-midi en direction de Chile-Chico, sur la rive Sud du lac. Ce serait inespéré, car selon nos renseignements, ce transbordeur n’ aurait dû partir que dans 2 jours. Nous essayons d’en avoir la confirmation auprès des carabiniers, mais ceux-ci semblent tout ignorer de ce départ. Pourtant, un pêcheur nous confiera plus tard qu’un bateau part bien cet après-midi, mais en principe, il refusera d’embarquer des passagers en raison de son chargement un peu particulier : il y aurait à bord une importante cargaison de dynamite à destination d’une mine d’or des environs. « Essayez malgré tout de discuter avec le capitaine, nous dit-il, peut-être acceptera-t-il de vous embarquer moyennant une petite contribution ». Nous courons le risque et repartons aussitôt au camping pour démonter la tente et préparer les bagages pour cette hypothétique croisière. Sur le môle, 3 ou 4 personnes -des locaux- semblent également au courant d’une possibilité d’embarquer.
Le responsable de l’embarcation ne fera pas trop de difficultés, et contre une poignée de pesos, nous fera pénétrer illico dans les soutes du transbordeur.
A peine les amarres larguées nous tentons une incursion sur le pont supérieur, histoire d’apprécier un paysage d’une remarquable beauté.

Discrètement, nous nous asseyons juste sous les fenêtres de la cabine de pilotage.
La croisière durera 2 heures et demie.
Ce lac est une vraie mer intérieure. Il n’y manque que les marées. Encore que. Avec ce vent, le roulis et le tangage sont comparables à ceux rencontrés en pleine mer.
Arrivons en fin d’après-midi à Chile-Chico. Un gros village de plus de 3000 habitants jouissant, pour une fois, d’un micro-climat exceptionnel. Fruits et légumes y croissent avec un bonheur sans pareil, semble-t-il.
Dans un jardin public, La première personne que nous croisons est un ouvrier communal en train d’arroser abondamment les plantations! La terre a en effet l’air bien sèche, il y a visiblement longtemps qu’il n’a plus plu ici. Etonnant contrastes climatiques qu’offre décidément cette Patagonie !

18 avril, 2007

Carretera austral (11)

Jeudi 25 décembre 1997

Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne.

Illustration sonore avec le groupe "Intiwayna" (de Cohaique) et le titre "Colonos, camino al cielo"


Balmaceda. 0 km.

Nous nous éveillons les premiers. La cuisinière est éteinte. Il fait froid. Dans la petite buanderie attenante à la maison, je trouve quelques grosses bûches que je m’empresse de fendre à la hache. Nous rallumons le chauffage et commençons à mettre un peu d’ordre dans la maison.
Entre temps, Madame Borquez s’est levée. Sa première activité sera de chauffer l’eau et préparer le maté que nous partagerons ensuite avec un quignon de pain. Notre hôte nous explique qu’elle sera absente toute la journée. Elle doit se rendre Dieu sait où, quelque part dans la pampa, du côté argentin et qu’elle en profitera pour faire un détour jusqu’au rio pour tenter de pêcher quelque chose. Décidément très attentive, Madame Borquez a remarqué que nous n’avions presque plus de tabac. « Je vais essayer de vous en trouver, nous dit-elle, en Argentine, c’est beaucoup courant qu’ici ».
Pour nous, ce sera une journée de relâche entrecoupée de moments de lecture, de courrier, de mise à jour de ce journal et de balades dans les alentours. A l’extérieur, le ciel est de nouveau bien dégagé mais le vent est toujours aussi violent. Cet après –midi, en me promenant dans le village, une vieille dame m’a d’ailleurs hélé de l’autre côté de la rue. Elle voulait que je l’aide à traverser. « Il y a trop de vent aujourd’hui, j’ai peur d’être emportée, tenez moi le bras me dit-elle ».
Je terminerai la promenade du jour par une visite de la cafétéria du petit aéroport local. Les tables sont en formica, le comptoir et les tabourets ont un joli design contemporain et la serveuse bien sanglée dans un petit uniforme parfaitement taillé. Une musique atmosphérique baigne l’ensemble et un écran digital informe les voyageurs des prochains vols. Bien que pour l’instant, rien ne soit encore affiché. Bref, un étonnane bulle de modernité dans cet univers rustique à souhait.
Pablo commence à aller mieux, il ne tousse déjà presque plus. Il s’amuse comme un fou avec les petits diables de la maison et tout particulièrement avec Yasna, la plus jeune des filles Borquez, dont il est déjà devenu le petit copain privilégié.





Vendredi 26 décembre 1997

Toujours à Balmaceda. 0 km.

Nous nous installons peu à peu dans une étrange torpeur. Peut-être sommes-nous prisonniers à notre insu de la famille Borquez. Ou alors, est-ce cette hypnotique pampa qui nous a pris en otage ? Ici, le temps ne compte plus et dans cette maison, l’anarchie est totale. Les enfants et le vent sont les seuls maîtres du jeu. Entre le maté, les cigarettes et les repas pris aux heures les plus saugrenues, il me semble que nous nous enfonçons irrémédiablement dans une incomparable langueur australe ! Si nous devions rester quelques jours de plus ici, il est probable que notre projet d’atteindre la limite de la Carretera austral s’enliserait à tout jamais. Madame Borquez vient déjà de nous proposer de passer le réveillon de fin d’année avec eux.
Il s’en est fallu de peu pour que l’on accepte.
Il est 19h30.
Madame Borquez et sa fille aînée sont en train de préparer des empanadas. On ne sait trop si c’est pour le goûter ou le repas du soir. Un enfant galope le cul nu dans la cuisine. Un autre se tartine un morceau de pain sec d’une épaisse couche de mayonnaise. (C’ est tout ce qu’il y a dans le frigo). Là, un gamin rampe sur le meuble de l’évier pour se remplir un verre d’eau. La fille cadette, déjà affalée dans son lit, est absorbée par une série américaine. Pendant ce temps, deux ou trois petits voisins font les dingues en sautant d’un fauteuil à l’autre. Deux chats et un chiots se disputent les restes d’un précédent repas tombés sur le sol. C’est hallucinant. Au dehors la tempête continue à sévir sans faiblir.
Voilà qu’à présent l’huile commence à crépiter dans la poêle et les bouilloires se mettent à fumer. Les empanadas s’amoncellent dans le plat de plastic…comme les nuages au loin sur la Cordillère.
Un singulier parfum est en train d’envahir la pièce : comme promis, Madame Borquez a effectivement trouvé du tabac en Argentine. Mais en chemin, le paquet s’est ouvert et s’est mélangé à une truite fraîchement pêchée. Nous l’avons donc mis à sécher (le tabac, pas la truite) sur la cuisinière. Ce qui donnera, au final, l’ impression d’inhaler de la truite fumée !



(Balmaceda, une chevauchée sur un balai)

11 avril, 2007

Carretera austral (10)

Mardi 23 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Illustration sonore avec le groupe "Quilantal" (de Coihaique) Titre du morceau: "Amor salvaje"

Coihaique- Balmaceda, une étape d’environ 50 kilomètres.
Quittons Coihaique dans la grisaille. Ce tronçon de route, pour une fois, est parfaitement macadamisé. Ce qui est somme toute logique puisqu’il réunit la capitale régionale au seul véritable aérodrome du coin. Cette étape ne présentera donc aucune difficulté majeure et les quelques fortes montées seront largement compensées par des descentes vertigineuses où l’on atteindra (selon le compteur de Marie-Hélène) des pointes de 60 km/h.
A partir d’ aujourd’hui l’ environnement se modifie sensiblement. Les sommets enneigés, jusqu’ici omniprésents semblent s’éloigner et font peu à peu place à quelques formations rocheuses de type karstique. Ensuite, la plaine, préfigurant la pampa argentine, se taille une large place dans le paysage. Le vent, quant à lui, devient pour ainsi dire constant et de plus en plus violent. Heureusement, cette fois, il nous « pousse » dans la bonne direction, ce qui améliorera quelque peu nos performances vélocipédiques habituelles. Nous atteignons assez rapidement le village d’El Blanco, but premier de cette étape. Comme il encore tôt dans l’après-midi, nous décidons de poursuivre notre chemin encore quelques heures. Nous nous arrêtons juste le temps de faire quelques provisions pour le repas du soir. Les deux seuls petits magasins de l’endroit sont cependant fermés. (« congé de fin d’année », indique des panneaux à l’entrée des deux épiceries). Un homme, à qui nous demandons où il est possible de s’approvisionner, se résoudra à nous donner un pain de sa réserve ainsi qu’un sachet de jus d’orange en poudre pour Pablo.
Nous arrivons à Balmaceda en fin d’après-midi.
C’est un gros village battu par les vents, posé en pleine pampa, à quatre kilomètres à peine de la frontière argentine. C’est aussi le plus ancien village de la région : sa fondation remonte à 1917 lorsqu’un groupe de colons argentins, sous la férule d’un certain José Antolin Silva Ormeño, décida de regrouper toutes les familles dispersées dans les environs pour créer un « centre » digne de ce nom.
A première vue, rien ne distingue ce village des autres, si ce n’est une impression de désolation plus grande encore. Le vent est plus que jamais harassant et j’ai l’impression qu’il m’empêche d’avoir un raisonnement un tant soit peu cohérent !


Nous installons notre tente dans une prairie en face de l’épicerie du coin, non sans avoir demandé au préalable l’autorisation aux carabiniers de service. « Ces gens-là gagnent leur argent assis, (« Ellos ganan plata sentados »), mais il vaut mieux leur donner l’impression qu’ils ont des responsabilités et qu’ils servent à quelque chose, nous dit un passant à propos de la police locale »
Pendant que nous montons notre campement, Pablo s’est déjà acoquiné avec les gosses du quartier venus voir de plus près ces curieux étrangers à bicyclette. Ensemble, ils entament sans tarder une partie de foot au milieu des crottins et des détritus jonchant la prairie.
Je me hasarde ensuite jusqu’à l’épicerie et tâche d’acquérir une bouteille vin pour égayer le souper. Pas de chance, la patronne me répond qu’elle ne vend rien d’alcoolisé « Ici, c’est une maison protestante, ajoute-elle sèchement ».
J’ignorais que les disciples de Luther étaient si rigoristes en la matière !
En cette fin de journée, nous sommes un peu inquiets : depuis quelques heures, Pablo n’arrête pas de tousser. Marie-Hélène est allée à la recherche d’un médecin, mais il reste introuvable. La nuit venue, nous avons froid. La pluie s’est remise à tomber, plus violente que jamais et le vent a redoublé d’intensité. Nous sommes malgré tout parvenus à réchauffer un peu de lait avec du miel pour Pablo.
Alors que nous avons à peine trouvé le sommeil, une voix nous réveillera en pleine nuit.
Une femme du village a appris que notre fils n’était pas bien. Elle nous invite à passer la nuit dans sa maison.
Comme Pablo dort à présent profondément, nous ne voulons pas le réveiller. Je réponds à cette brave personne que nous aviserons demain et peut-être accepterons-nous son invitation.

Mercredi 24 décembre 1997

Nous nous réveillons en assez mauvaise forme. Le terrain choisi pour installer notre tente s’est avéré terriblement caillouteux et bosselé. Nous avons des crampes partout et Pablo tousse de plus belle. Cette fois Marie-Hélène est bien décidée à retourner le village de fond en comble pour enfin trouver le médecin. « Dans le petit dispensaire, non loin de la place, tout était ouvert, me racontera plus tard Marie-Hélène, les bureaux, les chambres, la salle d’attente,..mais il n’y avait absolument personne dans le bâtiment, excepté…. un chien errant ! » C’est un passant qui, finalement, nous informera en nous disant que le responsable de l’hôpital, à cette heure se trouvait au café. Non pas que la personne en question fût alcoolique ou un « accro du zinc » mais parce que le responsable du petit hôpital est aussi… le propriétaire du café. C’est donc au café que nous irons rencontrer le praticien et tenter d’obtenir un rendez-vous. En effet, le bistrotier était bien à son poste. Devant notre insistance, il troquera sans attendre son tablier de serveur pour une blouse blanche et nous demandera de le suivre jusqu’à son cabinet.
Le diagnostic est plutôt rassurant. Il s’agit d’une grosse pharyngite. «En plus de ces médicaments, l’idéal, précise encore l’homme, serait que vous restiez quelques jours au chaud pour accélérer la guérison ».
Nous repensons à la dame de la veille et à son invitation.
Nous trouvons sans peine sa maison à la lisière du village, juste avant la « grande plaine » dans la bien nommée « rue de la frontière ».
Il s’agit d’un modeste logement tout en bois avec quelques tôles agencées « à la diable » en guise toit. La dame est visiblement ravie de nous recevoir en cette veille de Noël. Elle nous explique qu’elle vit seule avec ses cinq enfants et que pour survivre, en plus de son petit boulot à l’hôpital -où elle s’occupe du nettoyage-, elle pose des collets et part chaque jour à la pêche dans un petit rio poissonneux du côté argentin.
« Mais, je pense que ça vous ferait plaisir que nous ayons un sapin pour le réveillon, s’exclame soudain notre hôte, je sais que c’est une tradition chez vous en Europe ! ». Sans attendre notre réponse, Madame Borquez (c’est son nom) s’est dirigée vers un débarras d’où elle ressort aussitôt en brandissant une hache « Je vais arranger cela ! En attendant, mettez-vous à votre aise ». Elle disparaîtra durant une bonne heure.
Pendant ce temps, nous faisons connaissance avec la famille et cette joyeuse marmaille dépenaillée qui court en tous sens sur fond de cuecas qu’une radio diffuse à plein régime.
S’il y a longtemps qu’un nettoyage en profondeur n’a pas été entrepris dans cette maison, l’ambiance est par contre chaleureuse et il est merveilleux de s’asseoir en face de la vieille cuisinière à bois et de savourer un bon maté sucré, presque bouillant.
Avec un fond de farine et des raisins secs qu’il restait dans nos bagages, nous avons décidé de réaliser un goûter et confectionnons un tas de crêpes que les enfants vont engloutir en moins de temps qu’il n’a fallu pour les préparer.
Entre temps, Madame Borquez est réapparue en tirant derrière elle un arbre de belle taille. Il s’agit d’un ñire, un arbuste feuillu de la région. Quoique, ici, je n’en avais pas encore vu. « En effet, il y a très peu d’arbres aux alentours, confirme Madame Borquez, celui-ci, je viens de le couper au cimetière !!! »
Un bidon qui autrefois devait contenir de l’essence fera l’affaire pour arrimer l’ étrange sapin de Noël. Enfin, pour le décorer, nous passerons une partie de l’après-midi à emballer des bonbons et à les attacher aux branches. Ca remplacera avantageusement les boules et en plus, on pourra les manger plus tard !
Vers 18 heures, la fille aînée arrivera avec le bus en provenance de Coihaique. Elle a les bras chargés de provisions pour le réveillon et les jours suivants. La maman a préparé une sorte de ponch à base de bananes malaxées à la main, d’eau, d’un fond de vin et d’une giclée de pisco que nous conservions en prévision d’un grand jour. C’est le cas aujourd’hui !
On passera le reste de la soirée à écouter de « méchantes » cassettes de chacareras tout en avalant goulûment le repas de Noël : morceaux de moutons longuement mijotés, salade de concombre et riz. Les gosses vont dévorer la viande comme de vrais carnassiers sauvages !
A minuit, la radio crachotent les traditionnels 12 coups de cloche. On se congratule, on s’embrasse, on se sent en famille !
Nous installerons plus tard nos matelas à même le sol dans la cuisine-salle à manger-living. Après avoir secoué un peu les lambeaux de carpettes, histoire de ne pas inhaler trop de poussière, nous nous endormirons cette fois comme des bienheureux. Ce réveillon restera, j’en suis sûr, gravé à tout jamais dans notre mémoire.

07 avril, 2007

Carretera austral (9)

Samedi 20 décembre 1997 (à Coihaique)
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Illustration sonore: le groupe "Malebo" (de Coihaique) avec le titre "Chacarera de la zona"

Journée de découvertes à Coihaique. Seule véritable ville le long de la Carretera austral. C’est aussi ici que se trouve le seul et unique feu rouge sur le millier de kilomètres que compte la fameuse piste patagone ! Environ 38 .000 habitants vivent dans cette localité fondée en 1929 par le gouvernement provincial. Le but de sa création a été de venir en aide aux premiers colons (et surtout à la grande Société Industrielle de Aisen dont le cheptel ovin, vers 1920, atteignait 140.000 têtes !) en leur procurant les infrastructures de base qu’ils étaient en droit d’attendre : commerces, écoles, hôpital, église mais aussi hôtels, restaurants, cinéma et cafés. Coihaique est aussi depuis 1974 la capitale de la 11e région du Chili.
L’ambiance y est agréable et tout particulièrement aujourd’hui, avec cette température quasiment estivale. Les étudiants en uniforme ont joyeusement envahit la place de même que les militaires en permission. Une curieuse place d’ailleurs qui, avec sa forme pentagonale, désoriente complètement les nouveaux venus. Enfin, une activité insolite anime l’endroit durant les beaux jours : une famille de commerçants a, depuis cette année, pris l’initiative de louer des petites voitures à pédales que les enfants se disputent tout au long de l’après-midi. Une attraction qui va ravir Pablo !


Dimanche 21 décembre 1997 (dans les environs de Coihaique)

Petite excursion en bus jusque Puerto Aysen. Port aujourd’hui presque totalement ensablé d’où étaient expédiés, au début des années 20, les produits (laine et bois) de la fameuse Société Industrielle d’Aisen. Arrivons en fin de matinée dans la localité. C’est désert, morne et gris. Déambulons un moment le long d’un fjord désespérant où de modestes goélettes en bout de course achèvent de pourrir . La grisaille va pourtant s’estomper et de larges pans de ciel bleu apparaîtront peu à peu. Nous débusquons finalement un coin pittoresque où nous pique-niquerons. Une sorte d’embarcadère face à un canal, bordé de joncs et de plantes aquatiques à travers lesquelles se faufilent de petites embarcations chargées de madriers et de poutres. Un agréable parfum de cyprès embaume la scène.
Retour à Coihaique. Flâneries dans la petite ville et lecture de la presse locale (où l’on apprend qu’un petit avion de tourisme disparu dans les années 60 vient d’être retrouvé dans une forêt proche). Nous nous sommes attablés à la terrasse du Ricer Café. Un établissement sympathique dont les murs sont couverts d’anciennes photos où l’on voit des colons endimanchés, des notables à la sortie de la messe, des groupes d’écoliers posant près de leur maître, l’arrivée d’une goélette dans le port d’Aysen….

Lundi 22 décembre 1997 (à Coihaique)

Quatrième et dernière journée dans la capitale régionale où nous commençons déjà à prendre nos petites habitudes. A tel point que le gérant de la supérette du coin (Supermercado Marvin) a demandé le plus sérieusement du monde à Marie-Hélène si nous comptions nous installer définitivement dans la région ! Pablo, après être allé chez le coiffeur passera encore une partie de l’après-midi à pédaler sur les petites voitures de la place. Nous prendrons une dernière fois l’apéro à la terrasse du Ricer Café en compagnie d’un petit groupe de touristes suisses et allemands. L’endroit ne doit pas tellement les dépayser !
Nous aurons également profité de cette étape pour faire réviser nos vélos, dont les pédaliers commençaient à cliqueter de manière inquiétante (roulement à billes défectueux, selon le réparateur). De retour au chalet, une violente tempête éclate. C’est ce moment qu’à choisi Madame Schoonbrodt, pour me demander un petit service : aller couper les cerises au sommet des plus hautes branches de son arbre ! L’échelle qu’elle me prête est de surcroît complètement vermoulue, mais je n’ose refuser. Arrivé au sommet de l’arbre, les rafales de vent semblent plus violentes encore. J’imagine le pire. Ce serait bête de terminer le voyage de cette façon. Allez raconter que vous vous êtes cassé une jambe en cueillant des cerises à la veille de Noël !


(monument "Aux colons de la XIe région, Coihaique)

(maison typique à Coihaique)

01 avril, 2007

Carretera austral (8)

Jeudi 18 décembre 1997
Une équipée familiale et vélocipédique à travers la Patagonie chilienne

Mañihuales – Villa Ortega

Environ 50 km de route toujours fort empierrée. Nous nous arrêtons cependant à une quinzaine de kilomètres de la destination initialement prévue. Nous avons les jambes en compote. Il y a eu pas mal de côtes à franchir aujourd’hui et surtout un vent de plus en plus violent. Ce tronçon de Carretera est plutôt désespérant. Le paysage ne révèle qu’un vaste cimetière d’arbres brûlés. L’herbe est rare et desséchée. On a l’impression de se trouver dans un lieu en cours de désertification. Et pour cause. Dans les années 40, dans le but de faire paître leurs troupeaux, les premiers colons ont entamé une campagne de déboisement intensive et radicale en incendiant, sans discernement et sur des milliers d’hectares une forêt, jusque alors impénétrable. Le résultat est toujours visible aujourd’hui : pas un arbre n’a repoussé depuis lors !
En fin d’après-midi, nous essayons de trouver un lieu propice pour établir notre campement, un tant soit peu à l’écart de la route et surtout, à l’abri des rafales de vent. Nous apercevons dans le lointain une estancia dont les propriétaires devraient pouvoir nous indiquer un endroit où planter la tente. L’estancia est précédée d’une pelouse parfaitement entretenue, il y a un petit parc et l’ensemble dégage une impression un peu coloniale avec ses bâtiments en bois peints en blanc. Une terrasse avec son enfilade de fines colonnes achève d’ agrémenter l’ensemble. Un imposant pick-up Chevrolet est garé à proximité. Il devrait donc y avoir quelqu’un dans le bâtiment. La maîtresse des lieux ne tarde effectivement pas à nous ouvrir.
Son humeur à l’air aussi maussade que le paysage aux alentours. Elle ne voit vraiment pas ce qu’elle peut faire pour nous, dit-elle. « Allez plus loin, lâche-elle finalement en nous désignant une prairie broussailleuse bien à l’écart de sa propriété »
Lorsque nous lui demandons s’il est possible de remplir nos gourdes. Elle nous répondra qu’il y a un petit ruisseau pas très loin de la route. « L’ eau y est tout à fait potable, assure-t-elle » !
Nous quittons la propriété un peu dégoûté par tant de dédain et lorgnons vers le dispositif qui arrose, semble-t-il en permanence l’ épais gazon.
Nous nous dirigeons finalement vers la prairie désignée.
Pendant que Marie-Hélène monte la tente, je pars à la recherche du ruisseau ainsi que de bois mort pour le feu. En dégageant une vieille souche, je débusque une famille de rats détalant sans demander son compte. Je repense au patron du bistrot de Villa Amengual qui nous avait raconté comment cette année, six personnes de son village étaient mortes à cause d’un virus apporté par les rats. J’avoue être un peu inquiet.
Aussitôt notre repas terminé, nous ne sommes guère d’humeur à prolonger la soirée au coin du feu et nous nous enfonçons rapidement dans nos sacs de couchage.




Vendredi 19 décembre 1997

Vers 7 heures du matin, nous sommes réveillés par les hennissements d’un cheval et une voix peu amène semble nous exhorter à sortir de la tente. L’ homme à l’air agressif. Visage coupe-rosé et lacéré de cicatrices, le crâne rasé, il est aussi armé d’un fusil de chasse et sa taille est ceinturée d’une impressionnante cartouchière. Du haut de sa monture, il nous demande de qui nous avons obtenu l’autorisation pour nous installer ici « Je suis le surveillant de la propriété, nous hurle-t-il, vous avez intérêt à décamper au plus vite. »
J’essaie tant bien que mal de le raisonner et lui demande un petit délai, le temps de démonter notre campement et d’avaler quelque chose avant de démarrer ». Il maugrée quelque chose d’incompréhensible et finit par s’éloigner au galop dans un nuage de poussière.
Déjeunons sans traîner puis « caparaçonnons » nos montures.
Comme la veille, le paysage reste toujours aussi austère et triste, excepté quelques maigres tentatives de reboisement le long du chemin. Curieusement, l’essence choisie a été…..le sapin. Je doute fort qu’il s’agisse d’une espèce locale !
Arrivés à hauteur de Villa Ortega, un véhicule s’arrête à notre hauteur. Le chauffeur d’ un petit camion propose de nous charger pour un bout de chemin. « Le temps va changer, nous dit-il, vous risquez d’essuyer un grosse tempête dans les prochaines heures ». Marie-Hélène et Pablo prennent place dans l’ habitacle. Je m’installe sur la plate-forme, à l’arrière, pour maintenir fermement les vélos et les bagages afin que rien ne s’égaye dans le décor. Dans l’empressement, nous avons déjà perdu (ou oublié) ce matin notre précieux guide de la région, (la dernière édition du "South American Handbook" chèrement acquise avant notre départ).
Le chauffeur avait décidément raison, moins d’une demi-heure plus tard, de violentes rafales de pluie vont se déverser sur la région. Assis à l’extérieur, je suis littéralement frigorifié et transpercé par l’eau qui commence à ruisseler dans mon dos. A travers la lunette arrière, j’aperçois Pablo et Marie-Hélène bien au chaud devisant tranquillement avec le chauffeur et partageant un bon maté fumant. A ce moment précis, je donnerait cher pour être à leur place.
Le camion nous laissera finalement à une dizaine de kilomètres de Coyhaique. Il paraît que la police est vigilante aux abords de la petite ville de garnison et le chauffeur ne veut pas être pris en « flagrant délit » de transport non conforme, il est en effet interdit de charger des passagers sur plate-forme où j’ai pris place.
Nous arrivons à Coyhaique en début d’après-midi et rencontrons une dame (Madame Schoonbrodt) qui nous propose un petit chalet (cabañas) dans le haut de la ville. Le prix demandé est honnête (6000 pesos la nuit pour nous trois -environ 550 francs belges-), il y trois lits, un coin douche et une petite cuisine, propre et parfaitement opérationnelle . Entre temps, le ciel s’est éclairci et les montagnes encerclant la petite ville sont de nouveau bien visibles. Nous projetons de nous arrêter quelques jours ici, histoire de visiter un peu les alentours et surtout de reprendre un peu des forces avant d’ entamer le dernier grand tronçon vers Cochrane et la Patagonie profonde !