30 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (19)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Samedi 21 novembre (Sucre)

On « mange » du kilomètre….et encore du kilomètre !
La progression vers le Brésil est plus lente et malaisée que prévue. Les transports en commun suivent des horaires fantaisistes voire inexistants. La route est de surcroît dans un état déplorable. C’est d’ailleurs la Bolivie qui, dit-on, dispose en Amérique latine de l’infrastructure routière la plus mauvaise. Il faut dire que le relief tourmenté du pays ne facilite en rien la construction de routes.

L’étape de ce samedi nous conduit de Potosi à Sucre. A vol de condor, cela doit représenter 160 kilomètres. Une distance que le bus parcourra en un peu plus de cinq heures.

Sous son apparence de petite ville provinciale (80.000 hab.-chiffre de 87-), Sucre est pourtant la capitale constitutionnelle de la Bolivie (La Paz étant la capitale économique).

La ville fut fondée par les Espagnols en 1538 et son relatif isolement lui a permis de maintenir jusqu’à ce jour une belle unité architecturale. Une loi récente impose de surcroît aux propriétaires de n’utiliser qu’une seule couleur pour repeindre leur immeuble : « Le blanc colonial » !
La ville est par ailleurs réputée pour son université et ses écoles. De fait, à l’heure de sortie des établissements scolaires, les rues sont grouillantes d’étudiants et d’écoliers qui déboulent en tous sens et de partout à la fois. L’ambiance générale est plutôt jeune, dynamique et joyeuse.

Dimanche 22 novembre (Sucre/Tarabuco)

A une soixantaine de kilomètres de la capitale se trouve le petit village de Tarabuco.
« Une curiosité à ne manquer sous aucun prétexte nous a-t-on dit à l’office du tourisme local ».
De fait, lorsque nous y parvenons après quelques heures de pistes poussiéreuses -passées dans la benne d’un camion archi-bondé-, l’ambiance est des plus singulières.
Si le village en soi, ne présente pas de particularité architecturale remarquable, les habitants, par contre, ont ici maintenu des traditions vestimentaires assez étonnantes. Mais avant de s’imprégner de l’ambiance des lieux et de se perdre dans les allées du marché dominical il faudra d’abord s’acquitter d’une curieuse formalité administrative. A l’entrée du village, un fonctionnaire en uniforme – Il porte le grade de « Chef de transit »- vérifie minutieusement les papiers, les passeports et les bagages de tout qui s’arrête dans la petite entité. C’est inattendu, car nous sommes très loin de toute frontière et que dans aucune autre ville ou village de Bolivie nous n’avons observé un tel dispositif.
Toujours est-il que le fonctionnaire en question, profite de notre passage pour nous taxer de quelques cigarettes. En échange de quoi, je lui demande l’autorisation de tirer son portrait. Ce qu’il accepte de bonne grâce…moyennant quelques cigarettes supplémentaires.

Une fois sur la place où se tient le marché, on est alors plongé dans un univers où le temps paraît s’être arrêté depuis des siècles. Les commerçants et les badauds arborent en effet pour la plupart des tenues traditionnelles qui semblent , pour certains, être les mêmes que celles qu’ont dû voir les premiers conquistadors en arrivant dans la région.
Ici, les hommes, revêtent une sorte de jupe-culotte en coton au dessus de laquelle flotte un ample poncho aux couleurs vives. Leurs chaussures, lorsqu’ils en disposent, se limitent à de rustiques sandales en cuir.
Le plus étonnant cependant réside dans les coiffes de chacun.
Les femmes, généralement, se couvrent la tête d’une sorte de fez orné de médailles ou de piécettes de monnaie. Les hommes, quant à eux, disposent de ce que l’on nomme ici « la montera ». Une sorte de couvre-chef en cuir bouilli ressemblant plus à une élément d’armure qu’à un chapeau. Et pour cause, l’histoire raconte que ces chapeaux sont effet directement inspirés des casques des conquistadors espagnols. La ressemblance est en effet assez frappante !




Sur le marché de Tarabuco:




























Lundi 23 novembre (Sucre)

A part la visite peu enthousiasmante d’un couvent (celui de la Recolleta) et la rencontre fortuite des deux jeunes anglais avec lesquels nous avions « fait » l’ascension du Machu Picchu, peu de chose à signaler, sinon qu’il s’ agira aujourd’hui d’une journée de farniente en attendant le bus qui doit nous mener à Santa Cruz.

Un voyage éprouvant d’une vingtaine d’heures qui nous fera passer de 2800 m d’altitude à environ 400 mètres ; d’ un climat sec (et même frais en soirée) à une région presque tropicale.
Nous ne voyons pas grand chose du paysage et de son évolution au fil des heures, puisqu’une grande partie de ce périple se déroule de nuit. Cependant, à mi-parcours, un violent orage éclate et dans les brefs interstices de lumière conférés par les éclairs , la vue est dantesque : la piste est tortueuse et d’une effrayante étroitesse. A notre gauche : un précipice sans fond. A notre droite : une paroi verticale sur laquelle ruissellent des cataractes d’eau et des torrents de boue.
Cramponné à son volant, le chauffeur à le regard halluciné. Sans doute est-ce dû à la coca que son co-pilote n’arrête pas de lui procurer pour le tenir en éveil.
Dans mon dos, une pauvre vieille marmonne depuis le début de l’orage des incantations en quechua.
L’ambiance est tendue.
Au dessus de la tête du chauffeur, à côté d’une petite reproduction de la Vierge du Candélabre virevoltant en tous sens, un écriteau avertit le voyageur : « Ce n’est pas moi qui conduit, c’est le Seigneur ! ».

Mardi 24 novembre.(Santa Cruz)

Santa Cruz ne présente pas, à première vue, de grand intérêt, si ce n’est qu’il s’agit d’une étape obligée pour se rendre au Brésil. La région entourant cette ville de près de 600.000 habitants (chiffre de 87) est essentiellement dédiée à l’agriculture. Le riz, le coton, les céréales, la canne à sucre, le café y poussent à profusion et engendrent visiblement des profits substantiels. Nous croisons à plusieurs reprises des personnages qui, vraisemblablement, doivent être des patrons d’exploitations agricoles. Ceux-ci transportent dans la rue, presqu’ avec ostentation, d’imposantes liasses de billets de banque qu’ils vont sans doute déposer en banque. Un grand nombre de ces fermiers sont des mennonites d’origine nord-américaine ou canadienne. Ils sont presque tous vêtus de la même manière avec la salopette en jeans bleu impeccablement repassée, la chemise à carreaux -sans doute amidonnée- et un grand chapeau de paille pour compléter la tenue. Ils ont la peau blanche, leurs cheveux blonds sont coupés courts et leurs yeux sont bleus. Dans la multitude des passants boliviens à la peau tannée, ils ne passent pas vraiment inapperçus!

20 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (18)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Mercredi 18 novembre et jeudi 19 novembre. (La Paz-Potosi)

Journée ferroviaire pour un trajet « lourd » et long. Destination : Potosi.
Seize heures de voyage en grande partie de nuit à travers la puna et la steppe désolée des hauts plateaux.
Le départ est annoncé à 17h20.
Par précaution, nous nous installons dans le compartiment avec une bonne heure d’avance. Mais nous sommes à peine assis qu’un haut-parleur annonce un problème d’ordre technique : le train démarrera avec au moins une heure de retard.

C’est en tous cas une bonne nouvelle pour les vendeurs de boissons et de nourriture qui, cette fois, auront tout le temps d’ écouler leur stock de « Fanta », de « Pepsi Colita » et autres « Inca cola » ou « Brahma » aux saveurs médicamenteuses.



Il fait noir lorsque le convoi s'ébranle.

Faire sortir un train de La Paz a décidément été un véritable défi pour les ingénieurs responsables de la construction de la voie ferrée.
En effet, il faut savoir qu’avant de gagner le plateau et atteindre sa vitesse de croisière, le train doit d’abord s’extirper d’un véritable creuset de plus de 300 mètres de profondeur. Pour sortir de ce trou où s’est nichée la plus haute capitale du monde, il a fallu recourir à un système que l’on pourrait appeler « d’aller et retour ». Le train s’engage d’abord dans une voie sans issue, montant légèrement à flanc de montagne puis fait marche arrière en étant aiguillé vers une autre voie montant un peu plus que la précédente et ainsi suite, jusqu’à atteindre la plaine. Ce soir, les laborieuses manœuvres sont interrompues une demi heure d’heure à peine après le démarrage du train.
C'est arrêt imprévu a été précédé d’un violent bruit de ferraille.
Cette fois, un contrôleur nous informe, tout en enfilant sa salopette, que la locomotive vient de dérailler. « Rien de bien grave » nous assure l’employé comme s’il s’agissait d’un rouleau de papier W.C. à remplacer dans les toilettes..
Deux heures seront nécessaires pour remettre la machine sur ses rails.
Et cette fois sera pour de bon, jusqu’à Potosi, où nous arrivons le lendemain vers midi. Relativement fatigués par ce trajet, nous ne traînons pas en ville et dénichons tout de suite un petit hôtel -assez décrépi- dénommé « Le Central ». Un établissement qui n’a de central que le nom et dont les rares locataires (4 ou 5 à peine) sont des vieillards qui semblent y avoir élu domicile à titre définitif. L’installation électrique est de surcroît des plus précaires et je me fais électrocuter en allumant la lampe de chevet. Son fil est dénudé et touche les montants métalliques du lit ! C’est en tous cas un système efficace pour se lever d’un coup, sans trop musarder sous la couette.



(rallye automobile dans les rues de Potosi)
Vendredi 20 novembre (Potosi)

Il fait froid.
Et pour cause : la ville est située à 4070 mètres d’altitude. C’est d’ailleurs la seule métropole du monde digne de ce nom (avec 103.000 habitants –chiffre de 1987-) située à une telle altitude.
Elle fut fondée par les Espagnols en 1545 après que ces derniers aient remarqué de petites mines d’argent exploitées par les populations locales.
Mines située dans le Cerro Rico, la montagne au pied de laquelle a précisément été construite la ville.
L’argent fut ainsi le minerais qui engendra la richesse de cette ville dont il reste par ailleurs quelques beaux témoignagnes architecturaux. Au début du 17e siècle, Potosi comptait déjà plus de 150.000 habitants. Deux siècles plus tard, cet élan sera compromis avec la découverte d’autres gisements plus facilement accessibles, notamment au Pérou et au Mexique. Peu à peu la ville s’endormira et finira par ressembler à une cité fantôme. Plus tard, la découverte d’étain (métal inconnu des Espagnols à l’époque) redynamisera la ville et lui donnera un nouvel essor.
Aujourd’hui, cet étain est toujours extrait du Cerro Rico. Un travail souvent effectué dans des conditions archaïques et pénibles.
Ce matin, sur la Place, nous avons rencontré Mario, un ancien mineur qui a précisément travaillé quelques années dans l’extraction de ce minerais avant de se reconvertir dans le tourisme et plus particulièrement dans les visites guidées des mines.
Il nous propose de l’accompagner et de prendre le camion des ouvriers qui démarre d’ici dès 8 heures.

Au bout d’une demi-heure de route pentue, nous arrivons en vue d’un ensemble de baraquements qui sont en fait les habitations de quelques familles vivant à même le site minier, au pied de la « montagne d’étain ». Il s’agit, pour la plupart de pauvres maisonnettes en terre dont certaines jouxtent la galerie principale. A l’entrée de l'étroit boyau menant aux gisments, des taches brunâtres maculent le portique en pierre : du sang séché. « On asperge ainsi l’entrée de la galerie avec du sang de lama pour chasser le mauvais oeil nous dit Mario ».

Et il doit en falloir ici du sang de lama pour conjurer le mauvais sort !
Une fois munis de leur casque –l’unique protection dont disposent les travailleurs- et d’une dérisoire lampe à carbure, c’est l’enfer qui attend les ouvriers.
On pénètre tout d’abord par un long couloir où l’on est obligé de se courber très fort pour avancer.
Au début, la température est plutôt fraîche et de l’eau ruisselle de toutes parts sur les parois. Progressivement, la chaleur va augmenter pour devenir, au bout d’une quinzaine de minutes de progression, littéralement suffocante. Le manque d’oxygène à cette altitude rend de plus la respiration très difficile. Toutes les deux ou trois minutes, nous devons nous arrêter pour reprendre notre souffle. Lorsque nous arrivons dans une première salle, nous rencontrons un ouvrier occupé à avaler une goulée de « Cocoroco » (le tord-boyau titrant à 70°) et à se préparer une chique de coca avant d’entamer sa journée. « Ici, la feuille de coca ne coûte rien, elle coupe la faim et en plus, elle donne du cœur à l’ouvrage, explique Mario »
Une fois sa chique bien calée entre la joue et la gencive, l’ouvrier nous salue puis repart dans l’obscurité avec pour seul matériel, une sorte de piolet et un sac de jute qu’il remplira de minerai et transportera au jour -sur son dos- une fois sa journée finie.
Il n’ y a pas vraiment de règlement de travail dans cette concession privée, explique Mario. Il n’ y a ni ingénieur, ni géologue pour indiquer où creuser. Chacun fore, pioche et fait sauter des explosifs où bon lui semble, en fonction de son expérience, des conseils des anciens et en comptant un peu sur sa bonne étoile.
Si celle-ci est du bon côté, les ouvriers peuvent espérer des gains plus importants que dans les mines d’état où les salaires sont identiques pour chacun, que l’on découvre ou non un bon gisement.

Après un nouveau parcours à travers un dédale de galeries non étayées et d’éboulis instables, nous parvenons cette fois au cœur d’ une sorte de crypte dans laquelle un autel a été aménagé. En son centre trône une représentation du « Tio ». « C’est le Diable, commente notre guide et les mineurs lui vouent ici un culte particulier.
Aujourd’hui, vendredi, on lui dépose un verre d’alcool et on lui met une cigarette allumée dans la bouche pour solliciter ses faveurs et éviter les drames".
De toutes façons, même lorsqu’on échappe aux accidents, il y a peu de chance semble-t-il, que l’on échappe aux problèmes de santé. En moyenne, on ne travaille guère plus de15 ans dans ce genre d’ endroit. A raison de dix ou douze heures de travail par jour, le gamin qui a commencé a travaillé à 12 ans dans la mine ressemble à un vieillard lorsqu’il en sort et la silicose aura bien vite fait de l’achever.
Dans ces mines privées, il n’y évidemment aucune protection sociale et même le « matériel d’extraction » est à charge de l’ouvrier. Celui-ci doit acheter tout ce dont il a besoin pour son travail dans les commerces situés au pied de la montagne. Aussi trouve-t-on pêle-mêle et côte à côte dans ses étranges boutiques, du pain, des feuilles de coca, des outils mais aussi de l' alcool et des bâtons de dynamite. Cocktail détonnant!

(Enfant-orpailleur au pied du Cerro Rico)

16 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (17)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....


Mardi 17 novembre (La Paz/Bolivie)

Capitale la plus élevée du monde (3636 mètres d’altitude) La Paz apparaît telle une ville survoltée et surpeuplée avec son million d’habitants.(population en 1987)
Par sa situation particulière -tout au fond d’une cuvette- la pollution atmosphérique semble aussi avoir bien des difficultés à s’évacuer.
La raison pour laquelle les conquistadors espagnols avaient choisi ce site singulier pour s’installer tenait justement en l’absence quasi totale de vent à cet endroit.
Mais aujourd’hui, les gaz d’échappement -dus à l’intense trafic- combinés à l’altitude rendent particulièrement pénible la visite de cette ville.
La circulation y est de plus anarchique et bruyante, des militaires en arme sont en faction à chaque carrefour et des nuées de cambistes accostent sans vergogne, à même le trottoir, tout qui semble en quête de monnaie locale. Curieuse impression d’ailleurs que de voir circuler impunément et au grand jour ces hordes de « petits banquiers » avec d’épaisses liasses de bolivianos (la monnaie en cours à cette époque) en main, armés de leur précieuse calculette et criant à qui mieux mieux « Se cambian dólares !, se cambian dólares !,… » (On change des dollars !, on change des dollars !,….).
Cette pratique, apparemment tolérée en Bolivie, est d’autant plus étonnante qu’au Pérou voisin, ceux qui s’y adonnent sont sévèrement réprimés.

Etape obligée pour la poursuite de notre traversée sud-américaine, nous ne resterons à La Paz qu’une seule journée. Au cours de celle-ci, nous programmons une visite du marché ainsi qu’une petite excursion en bus jusqu’à un site dénommé « Vallée de la Lune ».

Le marché étonne surtout par le nombre d’échoppes consacrées à la vente d’herbes médicinales et surtout d’objets « magiques ». Parmi ceux-ci : des fœtus de lamas séchés.
Très prisés par les Boliviens, nous raconte une vieille commerçantes édentées, ces porte-bonheur sont généralement enfouis dans les fondations des maisons et assurent à leurs occupants une vie sereine sous la protection des Dieux.

Quant à la fameuse « Vallée de la Lune » -l’excursion du jour-, il s’en sera fallu d’un cheveu pour que jamais nous n’y aboutissions. Par dix fois nous demandons notre chemin mais par dix fois, les renseignements donnés sont différents. Finalement, un chauffeur de bus nous assure qu’il passe par là et qu’il nous indiquera l’arrêt. Comme au bout d’une demi-heure de route, nous sommes inquiets de n’être toujours pas arrivés, nous en avisons le chauffeur. Confus, celui-ci avoue nous avoir complètement oublié. Nous rebroussons chemin à pied jusqu’au fameux site qui, en dépit de formations rocheuses effectivement bizarres, ressemble plus à une carrière abandonnée qu’à un site lunaire. Mais peut être ne sommes nous pas au bon endroit. D’ailleurs, sur les murs de quelques bâtiments industriels bordant la piste, des inscriptions grossièrement badigeonnées ne laissent planer aucun doute là dessus : « ¡Fuera, los gringos ! » (Dehors, les américains –et par extension les étrangers- !)

Nous rentrons donc à La Paz -un peu dépités- avec le premier bus et retrouvons au hasard de nos déambulations un petit groupe de voyageurs avec lequel nous avions fait le trajet depuis Copacabana la veille.
Ils sont quatre, deux garçons (un Autrichien et un Espagnol de Barcelone) accompagné chacun d’une ravissante Bolivienne.

Leonardo -le Barcelonais- travaille pour une agence touristique. Chargé de préparer un itinéraire pour un futur voyage organisé, il doit notamment évaluer les restos, les hôtels et autres lieux de sorties disponibles à La Paz.
Pour ce faire, il a loué une voiture et propose d’ailleurs de nous emmener dans sa quête des lieux susceptibles d’égayer les prochains clients de son agence. Une sorte de « La Paz by Night » qui, pour nous, commencera par un resto en banlieue, plutôt luxueux, mais complètement vide.
Au vu de l’ ambiance, de la déco et de la douce musique de fond, la note doit être salée.
Ne sachant pas trop qui paiera quoi, Marie-Hélène et moi commandons timidement le plat qui semble être le meilleur marché.
Une tache rendue difficile car aucun prix ne figure sur la carte. Visiblement, c’est le genre d’établissement où il semble tout à fait inopportun, voire vulgaire, de parler d’argent.
Au fil du repas nous voyons les bouteilles de vins fins (chiliens) se succéder et nous voyons surtout de plus en plus mal comment nous parviendrons à régler une note qui risque fort de s’annoncer mortelle. Même si nous la partageons en six.
De fait, nos prévisions les plus folles vont être largement dépassées : l’addition s’élève à 200 bolivianos (environ 4000 francs belges). Ici, cela doit correspondre à près de deux mois de salaire d’un ouvrier de base.
Dieu merci, Leonardo se montrera enfin rassurant (et surtout généreux) lorsqu’il annoncera à la tablée que ces agapes seront prises en charge par son employeur. La seule contrepartie qu’il demandera sera de l’accompagner dans ses pérégrinations nocturnes, car il a, dit-il, une sainte horreur de s’amuser seul.
Nous acceptons l’offre de bon gré et poursuivons cette étrange soirée dans un club de jazz plutôt sélect : « Le Mathuis ». Un établissement dont la seule présence en ces contrées rustiques et altiplaniques est totalement incongrue.
A l’entrée, il y a même un portier noir en livrée qui accueille les clients. Il les « trie » d’abord en vérifiant leur identité et leur souhaite ensuite -dans un anglais sans accent- « Passez une bonne soirée Mesdames et Messieurs ».
L’ambiance est assez « classe » : lumières tamisées, bar à cocktails, clientèle d’hommes d’ affaires et de touristes nantis et, accoudées au bar, quelques « bimbos » se dandinent au son de vieux standards de Miles Davis.
Leonardo avise une table près du piano –un quart-queue tchèque de marque Petrov !- J’imagine l’aventure qu’aura dû connaître cet instrument pour parvenir dans ces contrées perdues.

Piscos, vins, bières, eaux-de-vie, commencent à se succéder joyeusement.
C’est alors que Leonardo se souvient qu’au cours d’une conversation précédente, je lui avais fait part de ma passion pour le jazz et en particulier, pour le piano.
« C’est le moment de nous divertir, Bernard, s’exclame le Barcelonais en me tapant sur l’épaule »
- Ne te fais pas prier, joue nous quelque chose !, et joignant le geste à la parole, il fait signe au barman d’interrompre la musique et signale haut et fort à l’assemblée que « Un « maestro » de Belgica, les va a tocar unas canciones de su país, hagan silencio por favor ! » (« Un « maître » de Belgique va vous jouer quelques morceaux de son pays, faites silence, s’il vous plait » ! ». Bien qu’ interloqué par cette invitation un peu incongrue, je n’ai d’autres choix que de m’exécuter.
En fait, des chansons de « mon » pays, je n’en connais….aucune.
Alors, histoire de sauver la face, je me lance dans ce que je joue finalement encore le mieux : du boogie woogie !
Apparemment, l’assemblée a l’air enthousiaste et se montre bon public.
Du moins si j’en juge par la quantité de verres qui, à présent ont été déposés sur le piano en guise de « récompense », tantôt de la part des tablées environnantes, tantôt de la part du patron du club, lui-même.

Vers les deux heures du matin, nous décidons malgré tout de clôturer la séance et reprenons le chemin du centre ville.
Il était temps car Leonardo, n’a plus l’air d’y voir très clair lorsqu’il reprend le volant de sa « Coccinelle » de location. Nous mêmes –ainsi que nos compagnons-, ne sommes guère plus lucides d’ailleurs. C’est fou comme l’altitude décuple les effets de l’alcool.
Lorsque nous arrivons à proximité de la Place d’Armes, ce que nous redoutions confusément finit par arriver : un barrage de carabiniers nous contraint à nous arrêter pour un contrôle en règle.
Tout y passe : les papiers d’identité, les passeports, les documents du véhicule, etc, mais, Dieu merci, pas d’alcootest !
Finalement, un des deux policiers s’exclame « Eh, bien voilà, je vais être obligé de vous infliger une amende de 50 bolivianos.
Leonardo essaie comme il peut de donner le change et tente de ne pas trop bafouiller malgré son imprégnation alcoolique : «
- Mais pour quelle raison ?
- Parce que cette rue est interdite aux véhicules, répond le policier engoncé dans son épais poncho kaki
- Pourtant, aucun signal ne l’indique, rétorque Leonardo, hoquetant !
- En effet, il n’y a pas de signal, mais c’est moi qui vous le dit. Vous me payez les 50 bolivianos, je fermerai les yeux et vous pourrez continuer tranquillement votre route ! »
(La Paz)

09 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (16)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....


Lundi 16 (Copacabana/Bolivie)

Apparition de la pluie.
En même temps que celle de la Vierge de Copacabana.
Aujourd’hui c’est le jour de la procession, mais avant le démarrage du cortège, un curieux rituel se tient sur l’esplanade face à la cathédrale.
Des dizaines de voitures, neuves pour la plupart, sont alignées et reçoivent la bénédiction du curé. Pour faire d’une pierre plusieurs coups, les véhicules ont été harnachés d’objets les plus divers. Ici, de l’argenterie et de la vaisselle ornent le capot d’ un pick-up. Là, des tissages colorés, des poupées et même un jambonneau ont été posés sur la carrosserie. Patients et recueillis, les propriétaires de toutes ces richesses font la file et attendent les gestes protecteurs de l’officiant de service.

Vers midi, le convoi s’ébranle enfin avec à sa tête, la sainte patronne de Bolivie, la vénérée Vierge du Candélabre, l’autre nom de la Vierge de Copacabana.

L’histoire raconte que cette sainte fut sculptée vers le milieu 16e siècle par un certain Francisco Yupanqui, descendant de l’avant-dernier empereur inca Huayna Capac. Une proximité avec la haute noblesse qui a sans doute influencé l’artiste puisque cette vierge est représentée, dit-on, dans les plus beaux atours des princesses incas. Bien que la sculpture que nous voyons défiler aujourd’hui dans les rues soit une copie (l’originale –avec ses parures d’or et d’argent- ne quittant jamais la cathédrale) la ferveur des participants à cette procession est sans égale. Il semble aussi que les dévots viennent de tout le pays et que toutes les classes sociales sont confondues. Les familles en costume traditionnel côtoient les bons bourgeois habillés à l’occidentale et les plus pauvres marchent aux côtés des notables locaux.
Le spectacle est impressionnant de ferveur, de couleurs et de sons ( car une fanfare précède la procession).

Sans trop en mesurer les conséquences, je m’empresse de prendre quelques clichés de l’événement lorsque un strident coup de sifflet retentit. Je n’y prend garde dans un premier temps jusqu’à ce que je me rende compte qu’il s’agit d’un appel qui m’est directement adressé par un carabinier. D’un pas martial, ce dernier, flanqué d’un de ses sbires en arme, s’approche de moi.
« Il va falloir que vous me suiviez au poste, me tance l’homme en uniforme. Je vous observe depuis un moment et je vois que vous êtes en train de photographier des installations officielles ainsi que des carabiniers dans l’exercice de leurs fonctions. C’est tout à fait prohibé en Bolivie ».

Je n’ai pas le choix. Et réitérer le "coup" de la fuite comme la veille ne me semble pas, cette fois, très indiqué. De toutes façons, les deux pandores m’encadrent déjà et me poussent sans trop de ménagement vers leur quartier général situé à l’opposé de la place.

A peine rentré dans le bureau, celui qui paraît être le chef entame une petite mise en scène sans doute destinée à m’impressionner. Il baisse les stores puis sort son arme de service qu’il dépose bien à vue sur le bureau.
Je suis enfin invité à m’asseoir sous l’œil méfiant de son subalterne qui ne me quitte décidément pas d’une semelle.
Je tente alors d’expliquer, qu’en fait, ce que je visais avec mon objectif n’était rien d’autre que la procession et si, par mégarde, j’ai pu photographier l’un ou l’autre policier en faction, ce n’était que fortuit.
« Peut-être, me rétorque l’ officier, mais toujours est-il que vous nous avez bel et bien photographié. Je vais donc être obligé de vous confisquer la pellicule et vous infliger l’amende de rigueur de 30 bolivianos ».

Pour ce qui est de la pellicule, je m’exécute sans tarder.
De toutes façons, ce film venait d’être entamé et à peine deux ou trois photos y figuraient.
Quant à l’amende, je risque le tout pour le tout et tente une négociation. J’ explique au bouillant carabinier que cette somme est extrêmement élevée, et qu’elle nous permettrait de vivre au moins 3 ou 4 jours en Bolivie.
J’essaie également de caresser l’énergumène dans le sens du poil et de faire vibrer sa corde patriotique en lui disant, notamment, que son pays est sans aucun doute le plus beau d’Amérique latine.
Je précise que nous avons économisé de longues années (ce qui est vrai) pour pouvoir le visiter et qu’il ce serait extrêmement triste que nous en gardions le souvenir d’une nation par trop policière.
A ce stade de la discussion, j'apprend que l’amende a déjà diminué de moitié!
Il reste donc l’autre moitié du chemin à parcourir.

J’ ajoute également que, de toutes façons, c’est mon épouse qui détient tout l’argent et qu’il va être très difficile de la retrouver dans la foule tout en lui faisant remarquer qu’elle doit être en ce moment morte d’inquiétude en ne me voyant pas revenir.

Cette fois, il me semble j’ai eu raison du carabinier.

Je sens qu’il en a assez d’entendre le ton plaintif que j’ai adopté depuis le début de l’entretien. C’est alors qu’il se lève brutalement et pointe un index autoritaire vers la porte et me criant : « ¡ Fuera ! » (Dehors !)

Je remercie l’homme servilement et regagne enfin la place, maintenant inondée de soleil.

Je recommence à respirer. Aujourd’hui, c’est décidé, je ne fais plus de photos ! Plus à Copacabana, en tous cas.

De toutes manières, nous quitterons cet après-midi la ville pour La Paz où un minibus va nous déposer en début de soirée. Un trajet grandiose, à travers les hauts-plateaux et les steppes désertiques, ponctué d’un petit passage en barge sur le lac Titicaca.

(En route vers La Paz)

02 novembre, 2007

Lima-Rio en 80 jours (15)

Ce carnet rassemble des notes et des photos prises lors d’un voyage réalisé en 1987.Il s’agit, comme le titre l’indique, d’une traversée d' Ouest en Est de l’Amérique latine ayant pris environ 3 mois (octobre, novembre, décembre) en utilisant les moyens de transports locaux les plus divers et surtout les moins coûteux : auto-stop, trains, bus, camions, barge, vélo et marche....

Vendredi 13 et samedi 14 novembre (Puno-Copacabana)

Retour à Puno par cette même embarcation à moteur qui nous avait conduit sur l’ île deux jours auparavant. Cette fois, nous avons le vent dans le dos, ce qui a pour effet de refouler les gaz d’échappement dans notre direction. L’odeur de mazout conjuguée aux effets de l’altitude (3855 mètres) rend la traversée pénible et nauséeuse.
Passons deux nuits dans un hôtel des plus miteux en attendant le bus qui nous fera traverser la frontière et entamer notre périple en Bolivie. Pour tromper l’attente : quelques promenades le long du lac et surtout, une excursion à 30 kilomètres de Puno vers Sillustani où se niche un site archéologique
inca (et pré inca) des plus singuliers, celui des chullpas. Il s’agit d’imposantes tours funéraires dont la particularité est d’être circulaires. Une exception dans l’univers architectural inca!
Surplombant un paysage d’altiplano d’une impressionnante sérénité, ces mausolées s’érigent de manière presqu’inquiétante dans le ciel bleu métallisé des Andes. Aujourd’hui, le silence est pesant, et le lac, en contrebas semble éteint. Pas un souffle de vent ne l’anime, point d’écume ni de vaguelettes. Une véritable mer de plomb.

Dimanche 15 novembre

Après deux heures de route passablement défoncée dans un no man’s land désertique, la première ville bolivienne en venant de Puno se nomme Copacabana. Si le nom peut évoquer une célèbre plage brésilienne peuplée de créatures de rêve, le Copacabana bolivien inspire plutôt l’austérité. Certes il y a aussi une plage ici, mais celle-ci se trouve au bord du lac Titicaca. L ‘eau y est glacée et, comme au Pérou, l’ « infrastructure touristique » semble se résumer à quelques marchands de limonades circulant le long des berges à bord de triporteurs cacochymes.

Et en cette fin d’après-midi, s’il y a de l’animation sur la place, ce n’est guère en prévision d’une quelconque bacchanale mais pour des motifs tout ce qu’il y a de plus sérieux.
Demain se tient une grande procession en l’honneur de la Vierge de Copacabana.
Aujourd’hui déjà, des dizaines de pèlerins se sont regroupés à l’extérieur, face à l’immense cathédrale d’inspiration mauresque. Venus en famille, les dévots sont assis sur le sol et prient à haute voix devant leurs cierges allumés.
Comme un murmure sépulcral, leurs prières ont envahit de manière obsédante la place et ses abords.

Plus loin, au sommet de la presqu’île dominant la ville et le lac, des petits groupes ont entamé un chemin de croix en psalmodiant des cantiques à la gloire de la vierge locale.
Mais à la dernière station, constituée d’un imposant calvaire, quelques pénitents ont donné un tour plus festif à l’événement. Des bouteilles de pisco, de bière et de vin circulent de main en main et des chants païens commencent à s’élever dans le crépuscule.

Tout le long du parcours menant au calvaire et profitant de la circonstance, des commerçants s’affairent. Il s’agit essentiellement de femmes vendant ce que nous pensons être des jouets. Sur les étals, on peut voir des camions et des voitures miniatures, de minuscules valises remplies de liasses de faux dollars, des bijoux en plastique, de petits sachets de céréales ou de coca ou encore des reproductions de diplômes…..
En fait, ces objets sont liés à un rituel courant dans les régions altiplaniques. Tout qui achète l’un ou l’autre de ces articles est sensé l’obtenir « en vrai » et grandeur nature dans un futur proche, pour autant, bien entendu que l’achat de ces répliques ait été suivi des prières adéquates.


De retour dans le centre, nous nous arrêtons dans un estaminet d’où s’échappe une musique
tonitruante. Le disc-jockey du cru enchaîne les cumbias aux sicuris, les carnavalitos aux bombas sans le moindre temps morts. L’ambiance est enfumée, des hommes prêts à chavirer se cramponnent au bar et quelques femmes tournent, virevoltent et se démènent comme des derviches hystériques. Certaines tombent, d’autres se rattrapent in extremis dans les bras de ceux qui les observent et les convoitent depuis les bords de la piste.

Une étrange tablée nous hèle et nous invite à partager leur bouteille. Ce sont quatre jeunes gaillards au visage tané et vêtus comme les gens d’ici avec leurs chompas, ponchos et chulos (bonnets péruviens recouvrant les oreilles).
Ils sont en fait allemands et circulent dans la région depuis pas mal de temps, nous disent-ils dans un anglais rendu approximatif par une abondante consommation d’alcool ou peut-être d’autres substances.

Par politesse, nous acceptons le verre qu’ils nous proposent mais, l’ambiance tendant à se dégrader dans le café, nous prenons rapidement congé de ces étranges touristes avant qu’une bagarre générale n’éclate. Au comptoir, deux types en sont déjà presqu’aux mains pour une « histoire de fille » que l’un d' eux aurait regardé avec un peu trop d’insistance.


Nous quittons l’endroit, soulagés de n’avoir pas été mêlés à une quelconque rixe d’ivrognes lorsque, au bout de quelques minutes, nous entendons des pas pressants derrière nous et des appels qui, visiblement, nous sont adressés. Deux garçons d’une dizaine d’années sont à notre poursuite. Ils viennent d’ailleurs de nous rattraper.

Ils nous font comprendre avec une certaine animosité que nous devons payer non seulement les boissons prises dans le café -pourtant clairement offertes par les Allemands- mais aussi régler tout ce que ceux-ci ont bu avant notre arrivée. « Ils n’ont pas d’argent sur eux et ce sont vos amis : vous étiez assis avec eux, c’est donc vous qui allez payer, nous hurlent les deux gamins » Nous avons beau leur dire que nous n’avons strictement rien à voir avec ces voyageurs, mais rien n’y fait. Le ton monte et les garçons se montrent de plus en plus menaçants, sans doute encouragés par les passants qui se sont attroupés autour de nous.
Nous ne voyons plus qu’une seule issue: la fuite et la course éperdue à travers les ruelles sombres de Copacabana. Haletants, nous nous perdons dans un labyrinthe d' impasses malfamées et de venelles chaotiques.
Dans la débandade, Marie-Hélène heurte le corps d’un soûlard endormi et je me fais arrêter par un autre pochard, en quête d’un peu de monnaie. Nous nous dégageons puis reprenons le cours de notre fuite jusqu’à la place.

Depuis cet après-midi, le nombre de pèlerins qui s’y trouve massé a littéralement explosé. Ils sont maintenant des centaines, peut-être des milliers, à débiter leurs prières d’un ton monocorde dans la nuit glaciale et étoilée.

Dans ce contexte, la vision de cette foule incantatoire -dont on ne perçoit que les visages éclairés par les cierges- prend des allures presque cauchemardesques.
Nous profitons néanmoins de cette marée humaine providentielle pour nous y perdre dans l’espoir que les deux gamins ne nous retrouvent pas. Nous allons errer ainsi de longues minutes dans cette multitude illuminée et finirons après moult détours par rejoindre notre pension sans encombre.
Là, dans le patio, une famille de Boliviens aperçue au calvaire quelques heures auparavant nous reconnaît :
« Quelle chance de se retrouver ici, s’exclame l’homme en nous voyant rentrer.
-Venez que je vous présente à ma famille, ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre des Belges par ici.
-Approchez, nous allons déboucher quelques bonnes bouteilles….














(La baie de Copacabana et le lac Titicaca)