24 juin, 2008

Chili, des photos, des légendes...(17)

Santiago


J’ai choisi d’évoquer la capitale chilienne par le biais d’un petit reportage photo en noir en blanc réalisé le dimanche 10 décembre 1989 aux environs de 11h du matin. Il me semble nécessaire de donner ces précisions car ce moment était historique non seulement pour Santiago mais pour tout le Chili. Ce jour-là, dans le parc O’ Higgins, se tenait le discours de clôture de la campagne électorale de Patricio Aylwin, le candidat démocrate chrétien pour les présidentielles qui allaient se tenir quatre jours plus tard. Les premières élections « autorisées » par le dictateur Augusto Pinochet depuis sa prise de pouvoir en septembre 73. Patricio Aylwin, proclamé candidat de la concertation était alors à la tête d’une formation quelque peu hétéroclite puisqu’elle englobait pas moins de 17 partis, mouvements syndicaux et groupes de pression parfois fort éloignés l’un de l’autre sur le plan idéologique. Mais, communistes, démocrates-chrétiens et même libéraux « modérés », conscients de l’impérieuse nécessité de mettre en veilleuse leurs vieilles dissensions ne formaient plus pour la circonstance qu’un seul et unique front cohérent face au pouvoir dictatorial en place. Quatre jours plus tard, les résultats allaient d’ailleurs être sans appel puisque Aylwin allait remporter les élections avec 55,2% des voix face au candidat Büchi de l’UDI (soutenu par Pinochet) avec 29,4% et 15,4% pour le candidat Errazuriz. Un candidat indépendant se proclamant de Centre – Centre appartenant à l’une des plus vieilles et riches familles du pays, propriétaire d’une quantité invraisemblable d’entreprises et de mines. La victoire de Patricio Aylwin n’allait certes pas changer radicalement la vie du Chilien sur le plan économique ou social, d’autant que Pinochet avait pris soin de nommer pour de nombreuses années encore ses sbires à des postes clés, notamment dans la magistrature et l’armée, mais en tous cas, cette élection allait ouvrir une brèche symbolique et permettre à la démocratie de repointer le bout du nez. Et ça, c’est ce que l’on pouvait ressentir ce dimanche 10 décembre dans ce parc O’ Higgins où près d’un million de personnes s’était donné rendez-vous pour une fête géante, émouvante et pleine d’espoir. Il m’a aussi semblé symbolique d’évoquer ce morceau d’histoire du Chili aujourd’hui puisque dans deux jours, ce 26 juin 2008, on célébrera le centenaire
de la naissance du Président Salvador Allende.


« Travailleurs de ma Patrie, je crois au Chili et en son destin. D’autres hommes vont surpasser ce moment gris et amer en lequel la trahison prétend s’imposer. Sachez que, bien plus tôt que tard, s’ouvriront les grandes allées par lesquelles passe l’homme libre, pour construire une société meilleure. Vive le Chili ! Vive le Peuple ! Vive les travailleurs !
Voilà mes dernières paroles et j’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain. J’ai la certitude qu’au moins ce sera une leçon de morale qui punira la félonie, la couardise et la trahison »
(dernières paroles de Salvador Allende, le 11 septembre 1973)

16 juin, 2008

Chili, des photos, des légendes...(16)

Rodéo à Campo de Ahumada (2/2)

Les premiers candidats au rodéo viennent d’arriver. Ils sont un peu en avance. Ils sont aussi très jeunes. Certains ont à peine douze ou treize ans. Leur monture est bien entretenue et l’habit des grands jours confère à ces cavaliers une allure singulièrement grave et altière. Tous ont revêtu le poncho (la manta) d’apparat, les guêtres de cuir -finement ouvragées- et les éperons aux molettes d’argent. Un chapeau de paille à larges bords complète l’ensemble. Celui-ci est maintenu par une fine cordelière de cuir que les jeunes « centaures » serrent entre leurs dents.

De tous les chemins environnants convergent à présent d’autres groupes de concurrents. Cette fois, il s’agit d’hommes mûrs. Des huasos au visage brun et buriné par le soleil. Des baroudeurs façonnés par les intempéries et une vie entière consacrée aux chevauchées dans la montagne.

Maintenant, on peut entendre dans le lointain un martèlement lourd : celui des sabots piétinant la piste craquelée. L’arrivée du troupeau est imminente. Les conversations se sont tues et chacun a abandonné sa tâche pour vérifier la rumeur. De fait, une cinquantaine de vaches et quelques taureaux rutilants menés par six hommes viennent d’apparaître. Le corral est à peine ouvert que le bétail s’y engouffre nerveusement. Désormais, tout est prêt pour la rencontre.

Sur le registre prévu à cet effet, un préposé indique avec soin le nom des participants ainsi que le montant versé pour chaque inscription. Ce dimanche ils seront 25 au total -âgés de 12 à 65 ans- à concourir pour cette joute amicale. Amicale, parce que, les points que chaque concurrent va engranger aujourd’hui ne seront pas pris en compte pour la finale nationale de Rancagua. Qu’importe, chacun est venu ici pour son plaisir et la trentaine de spectateurs accourus des environs immédiats sera bien suffisante pour créer une ambiance digne des plus grandes compétitions.

Le principe du rodéo chilien, pour être simple n’en demande pas moins de la part des équipes en présence une bonne dose d’adresse et une grande rapidité d’action. Chaque manche se déroule selon le même rituel. Tout d’abord, deux cavaliers, partenaires pour la circonstance, se présentent face au jury avant d’exécuter un premier tour de piste en guise de salut au public. Une fois cette formalité accomplie, le bovidé – vache ou taureau- est enfin introduit sans ménagement au centre de l’arène via un étroit couloir la reliant au corral. Sans plus attendre, les équipiers se mettent à sa poursuite et cherchent alors à l’ immobiliser dans un laps de temps défini et en un point précis de l’hémicycle, là où celui-ci été rembourré de manière à ne pas blesser l’ animal.


Le premier bestiau engagé cet après-midi est un jeune taureau particulièrement agile et nerveux. Au bout de deux minutes à peine il parviendra à s’échapper, sautant lestement par-dessus l’enceinte et frôlant au passage le visage d’un des rares spectateurs accoudés au muret de protection.

Un peu plus tard et après une série de manches d’excellente facture, pour autant que puisse en juger un néophyte, ce fut au tour d’un bœuf d’une émouvante placidité de mettre en pitoyable posture l’équipe en place. Ni les hurlements des huasos, ni les hennissements des chevaux pas plus que les coups de cravache violemment assénés ne parvinrent à sortir l’animal de sa torpeur bovine. Il fallut d’ailleurs les efforts conjugués de quatre ou cinq hommes pour chasser l’indigne animal hors de l’enceinte.

Mis à part ces deux joutes quelque peu cocasses, la journée dans l’ensemble, se déroulait sans la moindre anicroche et le soleil, en cette fin d’après-midi, commençait à rehausser les monts environnants de belles couleurs pourpre et ocre.

Un détail peut-être risquait de ternir ce dimanche festif et l’on sentait poindre chez les organisateurs une vague inquiétude. Il se murmurait en effet que l’orchestre ne viendrait pas.
On venait même de dépêcher une jeep avec un treuil au cas où le véhicule des musiciens serait tombé dans une ornière. Au bout d’une heure, la jeep revint, mais toujours sans nouvelle des artistes.

Quoiqu’il en fut, la fête devait continuer coûte que coûte. Déjà, les assiettes en carton se chargeaient de viande grillée, de salade paysanne parfumée à la coriandre et de consistantes galettes de pain cuites au four. Les bouteilles vides commençaient à joncher la prairie et autour des tables, les premiers candidats malchanceux justifiaient avec force détails les raisons pour lesquelles ils avaient été disqualifiés.

A l’une des tablées où nous avions été invités à partager le verre de l’amitié, quelqu’un nous expliqua qu’il y avait plus de cinq ou six ans que plus aucun gringo n’était passé à Campo de Ahumada, du moins pour assister au rodéo. Le simple fait d’être ici présents nous valait donc autant de réflexions « admiratives » que d’accolades affectueuses. Plusieurs personnes s’étaient même proposées de nous héberger pour la nuit.

Parmi les organisateurs de ce tournoi, il y avait aussi celui que tout le monde appelait familièrement Don Segundo. Il s’était commis d’office pour nous présenter à ses amis huasos et à chaque table, une tournée de bière ou de vin était offerte en l’honneur de ces étrangers venus de si loin pour applaudir aux exploits des cow-boys de la Cordillère !

Don Segundo n’était pas à proprement parler un authentique huasos et peut-être n’avait-il jamais monté un cheval, mais sa fonction d’auxiliaire médical dans la région l’avait amené à se lier avec chacun et il semblait mieux que quiconque connaître la vie et les coutumes de ces paysans un peu oubliés.

-Vous rendez-vous compte, ne cessait-il de répéter comme un leitmotiv, de ce que représente pour nous une fête comme celle-ci ?
- Autrefois, (à l’époque de Pinochet) une telle manifestation devait obligatoirement avoir l’aval de la police, des autorités communales voire de tel ou tel représentant provincial ….Parfois les tracasseries administratives faisaient capoter le projet ou alors, elles aboutissaient tellement tard qu’il devenait impossible d’organiser le rodéo…
Et Don Segundo, après chaque « discours », de lever son verre à la santé de ce pays enfin libre.

Même si ces paroles laissaient planer comme un doute dans le regard de certains, chacun acceptait néanmoins de porter un toast à cette démocratie renaissante que certains semblaient réapprendre par le biais d’un de ses aspects les plus ténus.

La lune venait d’apparaître entre les sommets lorsqu’ enfin arriva l’orchestre. Ils étaient trois musiciens – un accordéoniste, un bassiste et un guitariste- à sortir tout ankylosés d’un break poussif et délabré.

Sans tarder, on s’empressa d’installer le groupe électrogène. La piste de danse –en terre battue- s’illuminait aussitôt et le trio entamait, dans la plus grande indifférence, un répertoire de cuecas particulièrement confuses. Non que les musiciens aient été médiocres ou mal accordés mais la génératrice, placée derrière eux, par son vacarme chaotique, rendait instruments et mélodies irrémédiablement méconnaissables.

De toutes façons, la danse –en ce moment- n’intéressait pas encore grnad monde et il en aurait fallut bien plus pour détourner du bar le viril public tout entier à ses conversations pleines de galop, de fureur et de poussière.

En fait, la plus grosse difficulté à surmonter pour le petit orchestre était sans doute d’affronter un auditoire dont la répartition des sexes était si peu équitable.
Il y avait environ une cinquantaine d’hommes pour quatre ou cinq timides partenaires féminines ! Et celles-ci étaient évidemment fort mises à contribution. A peine une danse venait-elle de se terminer que la cavalière essoufflée se devait de s’élancer à nouveau avec un autre garçon. Des partenaires masculins qui, pour la plupart, avait gardé leurs bottes et leurs guêtres. D’autres n’avaient même pas pris la précaution de retirer leurs éperons dont les molettes tintaient par ailleurs gaiement au rythme des rumbas et autres zambas.
Lorsque je demandai à Don Segundo pourquoi les épouses de ces huasos étaient si rares, il me répondit avec un aplomb désarmant qu’il fallait bien que quelqu’un s’occupe du bétail et… des enfants ! Et pour ça, il n’y avait pas de dimanche !

Les heures passaient joyeuses et insouciantes. A notre table les conversations prenaient une tournure de plus en plus animée et les boissons se succédaient avec une régularité confinant à la saturation.

Comme le vin, le pisco et la bière commençaient à produire leurs effets, nous commencions à nous inquiéter de l’état dans lequel nous terminerions cette soirée et surtout de la façon dont nous allions effectuer le chemin de retour jusqu’à notre tente.
Don Segundo, toujours en verve et jamais pris de court, imagina un moment de nous reconduire jusqu’à notre campement sur son propre vélomoteur. L’idée était généreuse, mais à en juger par sa démarche vacillante et son regard quelque peu brouillé, je crois qu’il aurait été incapable de différencier sa machine d’un bourrin. Comme je lui fit part de mes craintes de sombrer dans un ravin, Don Segndo partit d’un grand rire et déclara solennellement :
-Si une telle catastrophe devait arriver, je peux vous promettre que nous mettrions tout en œuvre pour que notre rodéo annuel porte dès lors votre nom en souvenir de votre passage.

Plus sérieusement, l’auxiliaire médical finit par admettre qu’il n’était plus au mieux de sa forme et qu’il n’insisterait pas davantage. Il nous escorterait cependant quelques centaines de mètres sur le chemin du retour, un peu à la manière de ces maîtresses de maison reconduisant leurs hôtes jusqu’à l’orée de la propriété.
Ces quelques pas à l’écart d’une ambiance devenue tonitruante l’aiderait aussi, disait-il, à recouvrer quelque peu ses esprits.

Nous nous arrêtâmes à la limite d’un enclos, à cet endroit où un vieil amandier tenait lieu de borne. Don Segundo avait décidé de nous laisser là. Mais avant de nous séparer, il tint à nous offrir un cadeau pour le moins insolite.

De sa poche, il sortit ce que je cru être un morceau de carton huileux.
-Voilà, c’est pour la route. C’est ce que j’ai de meilleur à vous offrir. On appelle ça du « charqui » . C’est de la viande de cheval boucanée. Tous les huasos emportent ça dans leur sac quand ils partent à travers la montagne…..



A l’insu de chacun, le chemin du retour s’était mué en un serpent de lumière. Une intense clarté lunaire l’avait arraché à l’abîme. Ce n’était plus la piste sommaire de ce matin mais une longue coulée phosphorescente se dévidant au gré du chaos et de nos pas devenus incertains.

08 juin, 2008

Chili, des photos, des légendes...(15)

Rodéo à Campo de Ahumada (1/2)


Le bus vient de nous laisser au terminus d’El Cobre, dernier hameau desservi par la ligne rurale en provenance de Los Andes. A partir d’ici, il n’ y a plus qu’à compter sur notre bonne étoile – ou sur nos pieds- pour parvenir à Campo de Ahumada. Comme le chauffeur nous l’a conseillé, nous avons traversé le petit pont enjambant le torrent pour attendre un éventuel véhicule qui nous charge et nous fasse parcourir les 20 derniers kilomètres… Et il y a une heure déjà que nous sommes là. Jusqu’à présent, seul un homme est passé par ce chemin. Un monsieur déjà âgé, les cheveux blancs, un peu voûté et ahanant sous le poids de deux lourdes valises. Je le reconnaissais. Il était parmi les passagers du bus en provenance de Los Andes et était descendu deux ou trois arrêts avant nous.


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L’homme s’est arrêté un moment à notre hauteur, pour bavarder un peu et sans doute aussi pour reprendre son souffle. Depuis de longues années, il sillonnait la région pour vendre, de porte en porte, du tissu, un peu de mercerie et du linge de maison. Sa clientèle était essentiellement composée d’agriculteurs. A Campo de Ahumada cependant, il n’ y allait plus jamais. Il disait qu’il y avait trop peu de monde là-bas et que, maintenant, l’âge venant, il n’avait plus la force de grimper là-haut à pied.
Le marchand nous laissa sur ces paroles et nous souhaita « beaucoup de chance ».

Plutôt que d’attendre davantage un hypothétique véhicule, nous avons finalement décidé de nous mettre en marche malgré la chaleur accablante.

A bout de chaque courbe, nous espérions que le relief allait s’aplanir, ne fût-ce que quelques centaines de mètres, histoire de reprendre un peu des forces, mais à chaque fois le chemin se redressait davantage. Malgré nos chaussures de marche, nos chevilles se tordaient de plus en plus souvent sur la rocaille et les éboulis.

C’est alors qu’une petite fille, surgie de nulle part, apparut en sautillant gaiement à notre rencontre. Comme nous lui demandions si la route était encore longue, elle nous répondit qu’elle ne savait pas exactement, mais avant de disparaître, comme pour s’excuser de n’avoir pu nous répondre, elle nous tendit une des deux oranges qu’elle tenait en ses mains. Un geste sans doute de bon augure puisque c’est à ce moment, comme un mirage, que -loin en contrebas- une volute de poussière s’éleva dans le ciel. Disparaissant puis réapparaissant sans cesse au détour de chaque lacet, le nuage grossissait et finalement, la rumeur d’un moteur devenait perceptible. La mécanique devait souffrir. Le véhicule devait aussi être vieux ou alors très chargé. Lorsque le petit camion rouge passa à notre hauteur, il s’avéra qu’il était non seulement très vieux mais aussi…très chargé. Ce qui n’empêcha pas le chauffeur et son épouse de ralentir et de nous crier que si nous voulions grimper derrière, il fallait faire vite car le moteur avait une fâcheuse tendance à s’ « étouffer » et à ne plus redémarrer. A peine coincés entre deux sacs de ciments et divers matériaux de construction, nous redémarrions sans attendre.

Après une heure de route exécrable, aussi pénible pour les essieux du véhicule que pour les reins des passagers, la camionnette s’immobilisait enfin.
Le cabanon devant lequel nous étions arrêtés était la propriété de « notre » chauffeur. C’était une construction assez sommaire et rustique qu’il avait acquise en même temps que le vaste terrain sur lequel elle était érigée. Cet ancien fenil leur ferait bientôt office de résidence secondaire. Les terres alentours, seraient quant à elles d’ici peu plantées d’amandiers et d’oliviers. Du moins, tel était le voeux le plus cher de ce chauffeur de bus de Santiago pour qui la pollution et le stress de la ville devenaient intolérables. Il avait en outre l’intention, dès l’heure de la retraite venue, de consacrer une partie de son domaine à la création d’un camping. Notre présence ici était peut-être un heureux présage de réussite pour cette future entreprise. En tous cas, nous serions aujourd’hui les tous premiers campeurs à jouir de ce paysage tendrement sauvage et bucolique.

-Evidemment, une sérieuse amélioration de la voirie accédant au site serait un gage supplémentaire de succès, mais dans ce domaine, rien n’est encore prévu avant plusieurs années se lamenta le futur patron de camping !


Au fil de la conversation, nos hôtes devaient encore nous avertir que le rodéo de Campo de Ahumada –but cette dure randonnée montagnarde- n’était vraiment pas extraordinaire.

-Vous savez, c’est vraiment des « sauvages » là- bas. Il y en a même qui ne sont jamais descendus en ville de toute leur vie.
-Par contre, si vous voulez vraiment voir de beaux rodéos, c’est à Rancagua qu’il faut aller…

Cette phrase que nous avions déjà entendue la veille chez les Villegas n’entamait pourtant pas notre moral. Nous irions, coûte que coûte, et à pied, puisque personne ne voulait nous y conduire. Le couple accepta toutefois que nous plantions notre tente dans le jardin.

Après une heure de marche sur les contreforts escarpés de la montagne, nous parvenions enfin à une sorte de vaste terrasse herbeuse parsemée çà et là de bosquets, de maquis et de fleurs sauvages. En y regardant de plus près, on apercevait aussi quelques maisons, une petite école, des fenils et des enclos disséminés sans le moindre souci d’organisation urbanistique. Chaque propriétaire semblait avoir obéit à des règles intuitives consistant non pas à investir un paysage mais à se fondre en lui sans en perturber l’équilibre originel.

En fait, ce dimanche, le véritable cœur de Campo de Ahumada était la « media-luna » (la demi-lune). Une arène rustique, semi-circulaire faites de mœllons, de cailloux et de boue séchée. Elle était fermée par une légère palissade en bois derrière laquelle se trouvait un corral où bientôt allait être regroupé le bétail sélectionné pour la compétition.

Pour l’instant l’heure était toujours aux préparatifs : ici, des garçons de ferme humidifiaient le sol avant l’épreuve. Plus loin, un paysan testait une à une les ampoules de la guirlande qui illuminerait le bal de ce soir. Pendant ce temps, les femmes chargées des grillades attisaient énergiquement les braises rougeoyantes. Un peu à l’écart, deux chèvres dépecées attendaient au bout d’une corde attachée à une branche. Les chiens, bien dressés, feignaient se désintéresser de cette tentation à portée de museau.

Là-bas encore, un petit groupe de costauds terminait de tendre la bâche sous laquelle les musiciens viendraient tout à l’heure animer la soirée. Les tables, pour l’instant encore dispersées dans la prairie, avaient été empruntées à l’école voisine. D’ailleurs, nous avait-on dit, si le rodéo de ce dimanche engendrait quelques bénéfices, ils serviraient à acheter du matériel scolaire et à rénover autant que possible l’école.

Pour l’instant, seul le bar –une planche posée sur des tréteaux- était déjà opérationnel. Depuis les années que ce rodéo est organisé, c’était toujours la même personne qui en était responsable. Atteint d’ulcères à l’estomac, il était le seul parmi ses congénères à ne pouvoir absorber la moindre goutte de boisson alcoolisée. Le barman idéal, en somme !

(d'après carnet de voyage de décembre 91)

30 mai, 2008

Chili, des photos, des légendes...(14)

Trois petites étapes sur la route de Santiago (3/3)


Los Andes est une jolie bourgade perchée à 700 mètres d’altitude, sur les contreforts de la Cordillère, et traversée par un torrent – l’Aconcagua-.
Dans les campagnes environnantes, une grande partie des terres est vouée à la culture des vignes et des pêchers. Ça et là, on peut aussi remarquer quelques lopins dédiés à l’amandier et à l’olivier. Dans une certaine mesure, bien que cela ne soit pas perceptible -et qu’aucun guide ne le mentionne- le climat exceptionnellement sain de la région permet aussi au chanvre indien de se développer de manière tout à fait correcte.

Mais en dépit de quelques édifices à l’architecture coloniale, de belles artères arborées de platanes et d’une vivante Place d’Armes, rien de vraiment remarquable n’inciterait le voyageur à prolonger son séjour ici outre mesure. D’autant que cette région est qualifiée d’instable sur le plan tellurique. La réputation de Los Andes est même d’être au Chili une des villes les des plus exposées aux séismes. Ce qui oblige d’ailleurs les architectes locaux à prévoir pour leurs constructions un réseau spécial de poutrelles d’acier destiné à en accroître la cohésion.

Et il en est ainsi de la maison des Villegas, nos hôtes de ce soir. Une famille qu’un ingénieur de Calama, rencontré précédemment, nous avait recommandée.
La lettre remise par l’ingénieur de Calama à l’intention de Madame Villegas fut d’ailleurs d’une aide précieuse et, bien que nous n’en ayons jamais connu la teneur, cette missive nous valut d’être reçu en véritables amis.

Pour la première fois depuis le début de ce voyage, nous étions accueillis par une famille relativement aisée. Le seul salaire du père avait permis l’acquisition de cette modeste mais confortable maison ainsi que d’une petite voiture. Une Lada vert-de-gris.

Quant aux trois garçons de la maison, ils suivaient leurs études avec succès. L’un d’entre eux- l’aîné- commencerait même l’université l’année prochaine à Santiago.

Outre Madame Villegas, qui jouait, selon la formule consacrée le rôle de maîtresse de maison, une sixième personne partageait la vie de cette famille : « Le Papy », comme chacun l’appelait ici. C’était le père de Monsieur Villegas, un ancien capitaine de corvette à la retraite. Sa principale occupation était d’écouter au volume maximum son transistor qu’il maintenait de surcroît collé à l’oreille. Il était un peu sourd car les fréquents exercices de tir au canon lui avaient détérioré les tympans. Aujourd’hui, il ne fallait absolument pas le déranger car c’était la retransmission d’un match important. Le Colo-Colo –l’équipe « fétiche » nationale- faisait apparemment une fois de plus la démonstration de sa supériorité à en juger par les commentaires hystériques du présentateur dont les « Gooooooooooal !» se répercutaient dans toute la maisonnée.

Le chef de famille allait bientôt rentrer et, en l’attendant, Madame Villegas évoquait le travail de son mari à la « Mineria Andina ». Une mine de cuivre appartenant à la puissante Codelco, le consortium propriétaire, notamment, de la mine de Chuquicamata à Calama.

Depuis plus de dix ans Jaime Villegas y occupait un poste de responsable au service « maintenance du charroi ». Comme se plaisait à le souligner son épouse, cet emploi était non seulement bien rémunéré, mais en plus, comme tous les employés et ouvriers de ce secteur, Jaime bénéficiait d’avantages sociaux non négligeables parmi lesquels l’octroi de prêts hypothécaires à des taux fort avantageux n’était pas le moindre.

La porte venait de s’ouvrir et déjà, le plus jeune des fils accourrait vers son père pour l’entraîner sans ménagement dans le living où nous étions installés.

Jaime était l’exemple même du bon vivant : A peine les présentations d’usage accomplies, celui-ci nous conviait sans plus attendre à porter un toast aux nouvelles amitiés belgo-
chiliennes ! Les bouteilles de Pisco et de Coca aussitôt ouvertes –et mélangées- n’allaient pas tarder à sceller cette sympathique rencontre. Entre-temps, Madame Villegas s’était emparée du coffret dans lequel elle rangeait ses photos de famille ainsi que des cartes postales qu’elle recevait régulièrement de parents et d’amis expatriés en Europe.
« Regardez dit-elle, j’en ai même quelques unes de votre pays ! »

Il s’agissait, pour la plupart, de vues de Bruxelles. Des photos un peu surannées prises vers la fin des années soixante à en juger par la ligne des voitures ou la coupe des vêtements des personnes figurant sur ces clichés.

A la demande de nos hôtes nous tenterons au mieux de commenter ces images, surtout celles où l’on pouvait voir -selon les mots de plus jeune fils de Jaime- « une incroyable place à l’architecture de conte de fée ».

Soudain, la maîtresse de maison se leva et, l’air quelque peu embarrassé, déclara qu’il était temps de penser aux choses sérieuses. Notre visite impromptue avait quelque peu bouleversé les plans culinaires de Madame Villegas et celle-ci avoua qu’elle n’avait plus grand-chose pour confectionner un repas digne de circonstance. Malgré nos protestations, il fut donc décidé, avec autorité, que nous nous rendrions tous ensemble au supermarché.

Aussitôt dit… aussitôt entassés dans la petite Lada des Villegas. Dieu merci, ni le benjamin, ni le grand-père, l’oreille toujours rivée à son transistor, n’avaient tenu à nous accompagner.

Le supermarché de Los Andes, à de rares exceptions près, ressemblait à n’importe quelle autre grande surface: Même ordonnance des produits, même musique soporifique, mêmes spots publicitaires, même éclairage criard, … Pour passer le temps, je tentai en vain de débusquer quelques denrées un tant soit peu exotiques. Seul un malheureux bac rempli de citrons de Pica se distinguait et les étiquettes des bouteilles de vin pouvaient à la rigueur prouver que nous étions au Chili. Et encore.

C’est à la sortie du magasin qu’il fallait chercher les particularités locales. Juste après les caisses, il y avait une bonne dizaine d’enfants âgés de huit ou neuf ans, portant le cache-poussière à l’emblème du magasin, qui s’affairait. Certains emballaient les achats de la clientèle et d’autres se proposaient de porter les colis jusqu’aux voitures en échange de quelques pièces. A l’extérieur, d’autres gamins encore, courant en tous sens, aidaient les automobilistes à se parquer en leur désignant les emplacements libres.

Dans la cohue, un paysan portant bleu de travail et chapeau de paille était occupé à coller des affichettes sur la vitrine extérieure du magasin dans l'indifférence générale. Il s’agissait d’un petit avis, maladroitement calligraphié et photocopié sur un papier de mauvaise qualité où l’on pouvait lire qu’un « Grand Rodéo suivi d’une fiesta huaso se tiendrait demain soir dans le hameau de Campo de Ahumada ». Il était précisé que « L’ ambiance y serait chaude et l’entrée gratuite ».

Lorsque je demandai à Jaime où se trouvait ce village, il me répondit, avec une moue un peu dédaigneuse, que cet endroit n’était pas très éloigné de Los Andes, à peine 30 ou 40 kilomètres, mais que la route était dans un tel état que plus aucun bus ne s’y rendait. Même les taxis refusaient la course jusque là.
- De toutes façons, ajouta Jaime, les plus beaux rodéos se déroulent à Rancagua, au sud de Santiago, à la fin du mois de janvier. Si vous êtes toujours dans le coin à ce moment, je me ferai un plaisir de vous y conduire. Mais à Campo de Ahumada, là c’est la brousse, je ne tiens vraiment pas à y aller.


(A Campo de Ahumada)

25 mai, 2008

Chili, des photos, des légendes...(13)

Trois petites étapes sur la route de Santiago (2/3)


L’épisode de la destruction de notre tente par de mystérieux et invisibles assaillants nous a contraint à passer une journée dans la ville balnéaire de La Serena. Une journée consacrée à réparer notre matériel et surtout à recoudre la tente. Dès le lendemain, nous reprenons la route et quittons La Serena, toujours en stop. Ce qui n’est guère aisé. Nous sommes chargés comme des mulets et les automobilistes n’ont pas très envie aujourd’hui de faire le ménage dans leur véhicule pour accueillir deux routards égarés et hirsutes.

Un premier véhicule nous charge cependant pour un minuscule trajet jusqu’à la sortie de la ville, un deuxième jusqu’au port de Coquimbo (à peine 15 kilomètres plus loin), puis un troisième jusqu’au lieu-dit « Termas de Socos ». C’est avec le 4e véhicule de la journée que nous parcourrons le plus long tronçon, environ une centaine de kilomètres jusqu’au village de Huentelauquen. Il s’agit d’une estafette de l’armée avec à son bord deux militaires d’apparence affable. Ils engagent rapidement la conversation avec des sujets banals. Lorsqu’ils nous demandent quel est notre pays d’origine et que nous leur répondons la Belgique, l’un des deux s’exclame. « C’est extraordinaire, ma grand-mère maternelle est Bruxelloise, et de préciser…qu’elle vient de Schaerbeek ! ». Son compagnon acquiesce et ajoute qu’il y dans la région « beaucoup » de personnes originaires de Belgique. Un peu naïvement sans doute, nous lui répondons qu’il y a aussi pas mal de Chiliens en Belgique et tout particulièrement dans notre région, du côté de Liège. C’est alors que, brutalement le ton de la conversation vire à l’aigre. Un des deux militaires commence à s’emporter, et -presque en hurlant- nous dit que ces Chiliens installés en Europe et tout particulièrement en Belgique sont la honte du pays. « Ceux qui sont chez vous, c’est la racaille. Ce sont tous des communistes ! C’est cette catégorie de Chiliens qui vous désinforme et colporte des mensonges qui nuisent à la réputation de notre beau pays »

Sentant que le vent est train de tourner, l’autre soldat, plus diplomate, décide de passer à un autre sujet et, pour détendre l’atmosphère, met dans le lecteur une cassette d’un chanteur local.
-Et la musique chilienne, vous connaissez un peu chez vous, nous demande le troufion ? . Marie-Hélène lui répond, qu’effectivement, nous écoutons assez bien de chansons chiliennes à la maison »
-Ah oui, répond l’autre, et qu’est- ce que vous écoutez en particulier ?
-Eh bien, nous aimons des chanteurs comme Victor Jara, par exemple.
Le soldat reste impassible et sans se retourner lâche « Ah ça, je ne connais pas …. »

Je sens qu’à ce moment, les militaires commencent à en avoir marre de nous et à regretter de nous avoir chargé.

D’ailleurs, dès l’approche du village suivant -Huentelauqeun-, un minuscule hameau en bordure d’océan, le chauffeur nous déclare tout de go qu’il va devoir nous laisser ici.
Qu’importe. Il n’y a rien à voir ni à faire ici, mais la proximité d’une plage sauvage et déserte nous enthousiasme. Nous nous dirigerons à travers les dunes jusqu’à l’océan et dresserons là, dans un creux notre campement jusque demain. Il y a des brindilles et des arbrisseaux secs en suffisance, le feu du soir sera assuré et il nous reste un peu d'eau et de nourriture. La soirée sera bonne!

19 mai, 2008

Panne d'ordi


Ordi cassé! reprise des activités dès que possible!

12 mai, 2008

Chili, des photos, des légendes...(12)

Trois petites étapes sur la route de Santiago (1/3)

Depuis Calama et les « oasis nordiques » évoquées précédemment jusqu’à la ville côtière de La Serena où nous sommes arrivés hier, il y a un bon millier de kilomètres. Compte tenu de la longueur du pays, cette distance n’est pas si énorme mais nous avons mis plus de dix jours à la parcourir en stop. Non pas que « voyager au doigt » fonctionne mal ici mais un problème inattendu nous a contraint à rester une semaine en rade à Taltal. Un port miteux où il n’y a, me semble-t-il, rien d’autre à faire que d’observer les pélicans désœuvrés sur la jetée –dans le meilleur des cas- ou, -dans le pire-, de se saouler avec les marins au chômage dans les boui-boui longeant la baie. Pour ma part, je n’ai fait ni l’un ni l’autre puisque je suis resté alité pendant une semaine dans la première pension venue en raison d’un épouvantable abcès dentaire. Une période nécessaire pour faire tomber la fièvre consécutive à ce problème et attendre que ma mâchoire puisse de nouveau fonctionner normalement et que la gencive dégonfle un peu (Marie-Hélène me comparait à Elephant Man !) Je ne pouvais plus ouvrir la bouche et les seuls aliments qu’il m’était encore possible d’ingurgiter étaient des yogourts et des soupes en sachet que j’absorbais à la paille. Dieu merci, les pharmaciens chiliens sont des gens compétents et celui qui m’examina à Taltal me conseilla un antibiotique radical. Il faut dire qu’ ici, pour des raisons économiques évidentes, la plupart des gens ont plus souvent recourt au pharmacien plutôt qu’au médecin. Les pharmaciens peuvent également délivrer pratiquement tous les médicaments possibles et imaginables sans la moindre ordonnance. Le Chili est pour cela un vrai royaume de l’automédication.
Ceci dit, et après quelques menues péripéties en chemin (rencontre avec un jeune automobiliste suicidaire qui nous déclara, à peine rentrés dans son véhicule, que si sa femme ne regagnait pas bientôt le domicile conjugal, il se jeterait, lui et sa voiture, du haut de la première falaise venue !), nous voici donc à la Serena. D’ici, l’on peut s’aventurer facilement en bus dans l’arrière-pays, vers les petits villages perchés sur les contreforts de la Cordillère. Parmi ces villages, ceux de Vicuña et de Pisco Elqui sont intéressants. Vicuña est même une petite ville. Elle se trouve nichée dans la vallée de l’Elqui et jouit d’un climat quasi méditerranéen. On y cultive une variété de raisin très sucré dont la saveur évoque celle du muscat. C’est aussi avec ce raisin que l’on fabrique l’alcool national : le Pisco. Les puristes et les Péruviens prétenderont que cela est faux car, selon ces derniers, le Pisco est un alcool tout ce qu’il y a de plus péruviens. Mais ici, on vous dira le contraire. D’ailleurs, les paysans du cru précisent que si le village voisin s’appelle Pisco Elqui, ce n’est pas un hasard. Ce que l’on ne vous dira pas, c’est que ce village a été rebaptisé du nom de cet alcool il n’ y a pas très longtemps pour d'évidentes raisons de "marketing". Quoiqu’il en soit, visiter une distillerie de Pisco vaut toujours son pesant de cacahuètes. Les explications du guide de l’entreprise Capel sont certes très techniques et fastidieuses, mais la partie réservée à la dégustation des différents produits laisse un agréable souvenir car il y a beaucoup de choses à tester : les jeunes Pisco, les demi-vieux, les très vieux -vieillis en fûts de chêne-, les cuvées spéciales, sans compter les « mixtures » prêtes à l’emploi telles que les merveilleux Pisco-Sour (avec jus de citron, sucre de canne, etc…). Bref, en cette fin d’après-midi, nous n’étions plus d’une extrême fraîcheur pour nous plonger dans l’œuvre et la vie d’une des plus grandes écrivaines du pays (Prix Nobel de littérature en 1945), à savoir la poétesse Gabriela Mistral qui a vu le jour ici et dont on peut encore visiter la maison située au cœur de la petite ville.


(La maison natale de la poétesse Gabriela Mistral à Vicuña)


En suivant en amont le cours de l’Elqui sur une distance d’environ 40 kilomètres se trouve donc le village de Pisco. Nettement plus petite que Vicuña, cette entité a conservé un beau cachet rustique. L’activité y est évidemment agricole et surtout fruitière. Outre les vignes qui occupent toujours le premier plan, on trouve aussi les cultures de prunes, de goyaves et d’abricots. Ces derniers sont le plus souvent mis à sécher au soleil sur les toits des maisons pour obtenir les « huesillos » (abricots secs).
Dans les rues et les ruelles séparant les vergers, les senteurs sont divines et les parfums des différents fruits se mélangeant produisent une seule et unique fragrance capiteuse.

Ce jour nous avons planté la tente près d’un torrent dans un lieu planté de saules. Le temps est soudainement devenu incertain. Nous essuyons quelques averses et le ciel reste couvert une bonne partie de la journée. C’est la première pluie depuis le début de notre voyage dans les contrées du nord du pays. On peut à peine distinguer les pics enneigés enserrant le village. Nous avons trouvé refuge dans un café tenu par Don Barboza. Un vieux forban que ce Don Barboza. Originaire d’Argentine, il possède pas mal de terrains dans le coin et s’est toujours efforcé de rentabiliser le moindre mètre carré. D’ailleurs, pour accéder à l’endroit où nous avons dressé le campement, il faut passer par un chemin lui appartenant. Pour pouvoir l'emprunter nous avons été obligé de nous acquitter d’un droit de passage de 800 pesos ! Ce qui représente à peu près la location d’un emplacement dans un camping « ordinaire » de la région. Mais Don Barboza cultive aussi une certaine forme de nostalgie. Pour animer son vieux café, quand les clients s’attablent, il affectionne passer de vieux 78 tours de Carlos Gardel sur un authentique gramophone avec pavillon frappé à l’effigie de « La Voix de son maître » !

C’est très beau que de regarder tomber la pluie sur la campagne en écoutant du tango !


Ce matin, il pleut encore et tout le monde au village est préoccupé par ces pluies tardives. Une fois de plus, on met ça sur le compte de l’ « hiver bolivien », l’éternelle « tarte à la crème » météorologique, cause de tous les dérèglements du ciel.
Qu’importe. Nous prenons notre courage à deux mains et chaussons nos bottines de marche pour partir la journée dans la campagne environnante.

De retour en début d’après-midi, une mauvaise surprise nous attend : nous retrouvons notre tente dans un état lamentable, tout est défait et piétiné. La toile est largement déchirée en plusieurs endroits.. C’est un véritable mystère car rien n’a été volé et la nourriture n’a pas été touchée. Il y a bien deux chevaux a proximité de notre campement, mais cela semble peu probable qu’ils aient été les responsables de ce carnage. Peu encouragés par la perspective d’un éventuel assaut nocturne, nous levons le camp et décidons de rejoindre la côte et poursuivre notre périple vers le Sud.



(d’après Carnet de Voyage de décembre 91)