29 janvier, 2010

Oregon: 150 ans en 2009 (6/8)

Oregon: 150 ans en 2009 (6/8) (Un reportage réalisé en juillet 2008 (texte et photos: Bernard Jacqmin)

Portland

Demain, Ed et Jen rentreront déjà dans leur pavillon de banlieue. Les vacances sont finies pour eux. Au moment de nous quitter, ils insistent cependant pour nous fixer un rendez-vous dans le centre de Portland : ils seraient heureux de nous revoir et de nous faire visiter leur ville à bord de leur vieux van V.W. Nous acceptons avec plaisir et nous retrouvons donc le lendemain après-midi à l’endroit fixé la veille, sous une de ces chinoiseries un peu kitsch en forme de portique sensée marquer l’entrée du quartier chinois. Un endroit qui, dit-on , était fort mal famé à la fin du XIXe et sous lequel un véritable réseau de tunnel avait été creusé puis investit par des tripots et autres bars clandestins où des capitaines sans foi ni loi abrutissaient les marins d’alcool. Ils leur faisaient ensuite signer des contrats « bidons » pour embarquer -à leur corps défendant— dans des croisières qui n’avaient rien de touristiques !

Avec Ed et Jen, la visite de la plus grande agglomération du pays (556.370 hab.-la capitale, Salem ne compte que 154.000 hab.) commencera par l’ International Rose Test Garden. Situé à l’Ouest de la ville, sur les contreforts d’une colline d’origine volcanique, cet endroit est le lieu de promenade familiale par excellence. Il est parcouru d’un dédale de chemins ombragés serpentant au travers d’une impressionnante roseraie où plus de 550 variétés de roses sont cultivées.
L’intérêt du site réside aussi dans le fait qu’il permet d’embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble de la ville. Une cité à priori «cossue » dégageant à la fois une belle impression de dynamisme mais aussi, paradoxalement, de quiétude toute provinciale. Un plan urbanistique a d’ailleurs incité les promoteurs locaux à ne pas s’égarer dans des délires architecturaux par trop prétentieux. Cette quasi absence de gratte-ciels, la présence d’espaces verts, de places aérées et de promenades aménagées le long de la Willamette River confèrent une belle harmonie à l’ensemble. Des détails accentuent encore cet effet comme, par exemple, la relative fluidité du trafic automobile, même dans le centre-ville. Une fluidité due notamment au fait que les transports en commun sont gratuits à partir de la périphérie.
Il est donc tentant d’abandonner son véhicule dans un parking de banlieue et de se laisser glisser « for free » vers l’ épicentre à bord d’un des nombreux street-car (tramways) multicolores. Et si d’aventure, vous cherchez une signification particulière aux couleurs de ces véhicules tantôt verts-pommes, tantôt jaunes ou bleus électriques, sachez que c’est juste pour créer un effet visuel intéressant au cœur de la ville, c’est du moins ce que l’on assure à la direction des transports en commun ! Sur le plan environnemental, la ville a aussi consentit à de larges dépenses en matière de réduction des gaz à effet de serre et autres émissions de CO2. Portland, grâce à la mise en place de dispositifs rigoureux permettant de renforcer le rendement énergétique et d’accentuer l’usage d’énergies renouvelables, les émissions de CO2 ont été réduites de plus de 3% par habitant entre 1990 et 1995, quant aux émissions de CO2 émises par les installations de la ville, elles ont baissé, durant la même période, de 15%.


Parmi les mesures visibles et relativement insolites de cette politique environnementale active, on remarquera aussi la présence, à intervalles réguliers, de bornes disséminées à travers la ville permettant aux véhicules électriques de recharger leurs batteries. De toutes évidences et à l’image du reste de l’Etat, Portland est une ville progressiste à maints égards. Ici, comme dans tout le pays, on vote démocrate et ce, de façon ininterrompue depuis 1988 (même si de vastes régions du Sud-Est restent toujours fidèles à l’esprit républicain). Si l’on remonte dans le temps, on apprendra aussi que l’esclavage n’y a jamais eu droit de cité. Une pratique d’ailleurs déclarée hors-la loi dès 1844, bien avant l’entrée de l’Oregon au sein des Etats-Unis en 1859. Portland est aussi la ville des Etats-Unis où les débats au sujet du mariage homosexuel restent parmi les plus vifs et bien des observateurs s’accordent à penser que d’ici peu, l’Oregon sera, après le Massachusetts et la Californie, le prochain état à légaliser le mariage homosexuel.
Dans un autre registre; avec l’Etat du Washington, l’Oregon est également le seul à accepter ce qu’on appelle ici « le suicide assisté » (Death with Dignity Act) notamment pour les personnes malades en phase terminale.

On trouvera dés lors plutôt paradoxal que dans un tel contexte, la peine de mort soit, elle, toujours en vigueur et….appliquée ! Bien qu’elle le soit de façon exceptionnelle : depuis le rétablissement de la peine capitale en 1976, seules deux exécutions ont eu lieu à ce jour.

Parmi les « curiosités », que Ed a tenu à nous faire connaître dans « sa » ville, il y aura aussi un lieu qui à priori n’a rien de bien glamour mais qui ne manque pourtant pas de piquant. C’est un quartier un peu à l’écart du centre, sur la rive droite de la Willamette River. Il s’agit du quartier des entrepôts, celui des usines et des machines, des barges, des silos et des ponts roulants. Un univers qu’il aime et qu’il connaît sur le bout des doigts. D’ailleurs, voici qu’ il nous invite à escalader la clôture d’une usine qui lui est plus familière que les autres. Il dit d’ailleurs connaître le gardien, donc…aucun souci à se faire On traverse néanmoins les rails avec prudence (On ne sait jamais, une locomotive peut toujours surgir à l’improviste) et puis en silence, on déambule dans la caillasse et le ballast, dans un dédale de ferraille et de bidons d’essence. ça ressemble un peu à un pèlerinage pour Ed. D’ailleurs, le voici qu’il s’arrête soudain et regarde en l’air comme pour contempler une de ces grues qu’il n’a peut être plus commandé depuis longtemps.
-Tiens, dit-il brusquement comme pour couper court à une vaine mélancolie, tout près d’ici on a tourné un film l’année passée, là , juste sous ce pont. C’est celui de Burnside. Là-bas, des gars ont commencé à squatter l’endroit il y a quelques années et petit à petit, ils ont construit avec « des bouts de ficelle » un skatepark du tonnerre. Je crois que c’est d’ailleurs un des plus anciens skateparks des Etats Unis. Maintenant, il paraît que pour les skaters du monde entier, ce trou pourri est devenu une vraie Mecque, surtout depuis ce fameux film! (il s’agit de « Paranoïd Park » de Gus Van Sant, film sombre et dramatique réalisé en 2007 et Prix du 60e anniversaire du Festival de Cannes) On s’approche et, de fait, sous l’autoroute, quelques mètres à peine sous le tumulte du trafic et des gaz d’échappement… des gars s’activent consciencieusement à dévaler des rampes, à négocier des courbes, à « grinder » des arêtes…Aujourd’hui, ils sont une vingtaine entre 15 et 30 ans. Des chevelus aux pantalons tombant sur les fesses mais aussi des gars en salopette qui sortent tout juste de leur atelier et même quelques jeunes cols-blancs venus se dégourdir les jambes après le bureau, la cravate dépassant de la poche. Histoire de mettre un peu d’ambiance, quelqu’un a enclenché son lecteur CD. Un vieux reggae s’est mis à résonner sous les pilastres du pont . Immobile, un type un peu taiseux se tient à l’écart mais ne perd rien de la scène. Il observe les faits et gestes de ces fous montés sur roulettes. Mais dès qu’une canette de soda ou de Bud’ s’égare, il se lève aussitôt pour la récupérer. La boîte ira rejoindre la récolte du jour. Bientôt, le sac sera plein et échangé dans une société de recyclage des environs contre quelques « bucks ».
Le soleil commence maintenant à décliner sur la Willamette River. Il fait un peu moins étouffant et les joggeurs se risquent par petits groupes, tout comme les bikers et les familles en balade déglutissant des ice-cream modèle XXL. Au milieu de cette tranquille animation, un vétéran du Vietnam sur sa voiturette électrique surmontée de la bannière étoilée accoste les passants et tente sans grands succès de vendre ses poèmes.

C’est ici que nous allons quitter Ed et Jen. Nous sommes revenus sur l’avenue longeant le Rose Garden Arena. Sur le parking du plus grand complexe sportif de la ville, l’antre des fameux Blazers, -et aussi de la plus grande salle de spectacles- (20.000 places) des roadies achèvent de ranger le matériel sono des Foo Fighters. Les célèbres rockers du Washington ont donné un concert hier soir. Peut-être ont ils chanté « I’ll be coming home next year….Say goodbye, say goodbye……. ».


(prochain épisode le 6 février)

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